La crise sans précédent du coronavirus a impacté l’économie mondiale et ses différents acteurs de manière inégale. En ce qui concerne la profession de commissariat aux comptes, les perturbations liées à la situation sanitaire ont fait suite aux modifications introduites par la loi n° 2019-486 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi Pacte) qui est entrée en vigueur en 2019.
Cette nouvelle réglementation a notamment rehaussé les seuils pris en compte pour déterminer le moment auquel se déclenche l’obligation pour une société française de se soumettre à un audit annuel. Cette procédure est désormais requise lorsqu’une entité satisfait deux des trois critères suivants : (i) un chiffre d’affaires de 8 millions d’euros ; (ii) un total de bilan de 4 millions d’euros ; (iii) l’emploi de 50 salariés. Ce changement a mécaniquement diminué le nombre de mandats qui sont à exercer.
Cette nouvelle législation demeure néanmoins favorable à la profession par comparaison au marché américain. En effet, seules les sociétés cotées y sont tenues de se faire auditer. Les PME américaines du secteur privé sollicitent généralement un contrôle externe à la demande d’une institution financière dans le cadre de l’octroi d’un financement ou de manière volontaire. La vérification des comptes d’une filiale d’un groupe international établie outre-Atlantique est également parfois requise pour les besoins de la consolidation du groupe.
Quelle perception de la mission par les dirigeants de sociétés et les entrepreneurs ?
De manière générale, le commissaire aux comptes est reconnu pour apporter une sécurité financière et une assurance à l’environnement de l’entreprise (ses actionnaires, partenaires financiers ou fournisseurs) ainsi qu’une réassurance aux dirigeants eux-mêmes grâce au regard extérieur porté sur l’entité. Cependant, cette utilité est parfois perçue comme la seule contrepartie d’un coût ou d’un « mal nécessaire ». Cette vision uniforme et routinière du service risque d’amener l’entreprise à choisir un prestataire sur le seul critère pécunier. A l’inverse, les dirigeants de sociétés expriment fréquemment des besoins sur des éléments davantage qualitatifs, tels que l’aide aux prises de décisions, l’établissement d’analyses, de budgets, de projections ou le pilotage d’indicateurs de performance.
Dans ce contexte, la question de la recherche de valeur ajoutée devient essentielle lors de l’examen des comptes d’une société. L’existence de diverses normes dont le respect est chronophage et l’intérêt souvent nul du point de vue de l’entreprise contrôlée entravent la réalisation de cet objectif. Pour prendre l’exemple américain, l’American Institute of Certified Public Accountants (AICPA), organisation responsable notamment de l’établissement des standards professionnels, a récemment accru de manière significative les contraintes réglementaires.
Les impacts de la révolution digitale
La révolution digitale continue d’impacter les métiers du chiffre dans leur ensemble en générant des risques tels que l’obsolescence ou la crainte d’être remplacé par des machines. Cependant, celle-ci apporte en contrepartie de nombreuses opportunités. Les nouvelles technologies actuelles (telles que les ordinateurs, les téléphones portables ou encore l’intelligence artificielle) s’implantent plus rapidement que celles apparues il y a quelques dizaines d’années. Une approche positive de l’automatisation conduit les auditeurs à appréhender l’évolution digitale comme un allié entraînant un gain d’efficacité libérant des ressources utilisables au profit de leurs clients.
Par ailleurs, les divers échecs de détection d’irrégularités à l’origine de scandales financiers ont remis en cause la fonction de vérificateur des états financiers, remise en cause qui peut être forcée par le contexte numérique actuel. Ainsi, les techniques modernes d’analyse de données permettent d’augmenter la taille des échantillons contrôlés par sondage, voire de tester l’intégralité d’une population statistique. Ceci sécurise l’objectif traditionnel et fondamental du commissaire aux comptes qui est d’obtenir une assurance raisonnable que les états financiers vérifiés ne comportent pas d’anomalies significatives.
Dès lors, l’intégration de nouvelles compétences (analyse ou science des données par exemple) au sein de l’équipe d’audit est fondamentale quelle que soit la taille du cabinet. Si les sociétés internationales du type « Big 4 » ont internalisé ce savoir-faire, d’autres prestataires peuvent y avoir accès par le biais de formations ou de consultants externes travaillant à temps partagé.
La quête de valeur ajoutée
Les commissaires aux comptes disposent de nombreuses sources d’informations aisément disponibles au sujet de leurs clients, notamment par le biais du site internet des sociétés, de communiqués de presse, d’indicateurs de performance d’un secteur ou encore d’associations professionnelles. La compréhension systématique et en amont de l’activité d’une société, plus spécifiquement ses enjeux et risques distinctifs, génère une communication plus pertinente avec la direction en proposant une approche « business » appréciée des interlocuteurs. Le personnel administratif du cabinet est en mesure de réaliser cette collecte d’information afin de soulager les équipes opérationnelles.
L’objectif de recherche de qualité doit être communiqué de manière continue à l’ensemble des collaborateurs. Cela implique pour le management du cabinet d’appliquer en interne le principe du « tone at the top » (ou ton donné par le sommet de l’organisation) utilisé par les commissaires aux comptes pour établir la stratégie de vérification applicable à leurs clients. Selon ce principe, les valeurs transmises par la direction d’une entité sont déterminantes sur le comportement des employés de la structure. Les bonnes pratiques à partager incluent la proactivité, le service de veille documentaire, la recherche d’une application économique des normes comptables, une communication transparente et bienveillante ainsi qu’une planification optimale des diligences.
L’auditeur a également la possibilité d’élargir les services qu’il propose afin de mieux répondre aux besoins des entreprises. La réglementation américaine permet par exemple d’effectuer des prestations d’assistance fiscale en complément d’un examen des comptes, sous réserve de ne pas se placer en situation d’auto-révision. La connaissance de la société et de ses états financiers optimise l’efficacité de ces travaux annexes. Du côté français, la loi Pacte a introduit de nouvelles missions d’attestation et de diagnostics. A titre d’illustration, ces mandats peuvent consister à analyser la santé financière d’une société et sa solvabilité.
La qualité et la variété du service produit par le commissaire aux comptes au-delà de la simple certification des états financiers le situent comme un partenaire indispensable et reconnu indifféremment du caractère obligatoire de son intervention. Si le métier a déjà été profondément impacté par l’évolution digitale, d’autres changements majeurs sont à prévoir en parallèle au développement à venir de nouvelles technologies.
Par Marc Trost, co-fondateur et associé d’Orbiss