La culture de la gagne. Elle est partout autour de nous, quel que soit le secteur dans lequel on évolue. Mais à quoi tient l’échec ? Quels mécanismes nous y amènent ? En politique, être perdant équivaut à être rayé de l’histoire. Pourtant, certains perdants ont marqué leur temps au moins autant que les victorieux. Alain Juppé, Raymond Barre, Lionel Jospin ou Pierre Mendès-France…Dans sa série dédiée aux « Perdants magnifiques » de la Ve république, le podcast vedette de France Inter Affaires Sensibles revient sur ces parcours inspirants… de perdants.
« Aujourd’hui dans Affaires Sensibles, premier volet de notre série consacrée aux figures politiques de la Ve République qu’on a vues sur orbite mais qui n’ont jamais atteint leur but. » C’est avec ces mots que Fabrice Drouelle lance le premier épisode d’une série dédiée aux « Perdants magnifiques ». Un titre emprunté à l’ouvrage dirigé par l’historien Jean Garrigues.
Référence dans le monde de la radio, Affaires Sensibles est une émission créée en 2014 et qui rassemble près de 780 000 auditeurs à chaque émission. Une audience considérable, attirée par la multiplicité des sujets et leur traitement, toujours précis et pertinent. En choisissant de parler de ces « perdants magnifiques », Affaires Sensibles ne se trompe pas. Plus qu’évoquer la triste histoire de certains des politiques qui ont marqué la Ve république, cette émission dévoile la fine ligne qui démarque un destin victorieux, d’un parcours malheureux.
Ne pas vouloir percer, comme Pierre Mendès-France
S’il est un personnage intéressant, charismatique, profond, c’est bien Pierre Mendès-France, confirme Jean Garrigues. Alors pourquoi cet animal politique n’a-t-il pas réussi à percer et s’imposer au pouvoir ? Qu’est ce qui explique qu’il n’ait pas pu aller jusqu’au bout ?
Homme de gauche pragmatique, PMF a été nommé président du Conseil par le président René Coty en Un poste prestigieux qu’il n’occupera finalement que 7 mois. Pourtant, Mendès-France laisse derrière lui un héritage dont certains se revendiquent encore aujourd’hui.
Alors pourquoi n’a-t-il pas eu accès au pouvoir ? Probablement à cause d’un refus de la compromission vis à vis d’un système politique qu’il récusait. Il s’est d’ailleurs opposé aux institutions de la Ve république, qu’il jugeait trop « présidentielle ». « Pierre Mendès France n’était pas là pour lui même, mais pour faire valoir ses idées », conclut Jean Garrigues.
Sacrifié par son mentor, comme Alain Juppé
« S’il donne l’impression d’être à l’aise, sûr de lui, voire même arrogant, Alain Juppé est en fait tout le contraire. » Autrice de la partie concernant Alain Juppé dans l’ouvrage « Les Perdants Magnifiques » dirigé par Jean Garrigues, Virginie Le Guay dresse le portait d’un homme qui s’est lui-même tenu en laisse des années. Circonstances exceptionnelles, trahison humaine, inhibition personnelle… Voici le cocktail responsable du destin politique brisé (sur la fin) d’Alain Juppé.
Député européen, premier ministre de Jacques Chirac, maire de Bordeaux… Alain Juppé est contraint de quitter la vie politique en 2004 dans l’affaire des emplois fictifs de la ville de Paris. Un dossier dans lequel il prendra la responsabilité de son ami, le président de la République Jacques Chirac. Donné favori de l’élection présidentielle de 2017, il perd finalement la primaire au profit de François Fillon suite à une mauvaise tactique. Une dernière blessure qui sonnera le glas du destin politique de celui qui est encore présenté comme « le meilleur d’entre nous ».
Cruel destin, comme Lionel Jospin
Lionel Jospin a voulu arrêter la politique de nombreuses fois. À chaque déconvenue, chaque déception. Pourtant, en 1995, il se retrouve au second tour de l’élection présidentielle, un peu comme un avocat commis d’office. Deux ans plus tard, suite à l’incompréhensible décision de Jacques Chirac de dissoudre l’assemblée nationale, il se retrouve à la tête d’un gouvernement dont le bilan reste un des plus présentables de la Ve république.
Pourtant, en avril 2002, ce destin prometteur est trahi par les électeurs qui ne laissent même pas une chance au candidat au second tour. Un coup de poignard qui le fera raccrocher définitivement sa carrière politique. Alors à quoi tient ce destin de martyr ? Comment un homme si brillant, au bilan si prometteur n’a-t-il pas réussi à séduire ? « Comme pour un crash d’avion, il y a eu une succession de dysfonctionnements, d’alertes qui n’ont pas fonctionné, de problèmes mécaniques qui s’enchaînent et qui conduisent à la catastrophe », explique l’éditorialiste politique Renaud Dély. La multiplication des candidats de gauche au premier tour, le faible capital sympathie de Jospin et sa volonté de ne pas porter haut l’étendard socialiste… Autant de facteurs qui ont enterré les rêves elyséens de celui qui voulait devenir le deuxième président de la République socialiste de la Ve République.
Dire ce que personne ne veut entendre, comme Raymond Barre
« Père la rigueur », « Meilleur économiste de France », « Cassandre parmi les Cassandres » : Raymond Barre a hérité de nombreux surnoms au fil des ans. Ce professeur d’économie adepte du « parler clair et du parler-vrai » ne veut s’affilier à aucune famille politique, à aucun parti. En déboulant avec ces principes dans l’arène politique, il ne se facilite pas la tâche. Vice président de la commission européenne de 67 à 73, il devient trois ans plus tard ministre du commerce sous Giscard, puis Premier ministre jusqu’en 81. Il marquera cette fonction par son pragmatisme et sa rigueur.
En 1988, après un septennat miterrandien, il est le candidat désigné à l’élection présidentielle suite au refus de Giscard de se présenter. Mais sa volonté de ne pas se mélanger aux autres, de se positionner au-dessus de la mêlée, finit par le desservir. Donné vainqueur six mois avant le scrutin, il finira sur la troisième marche du podium derrière Mitterand et Chirac. Ce brillant docteur en économie aura finalement eu ce qu’il souhaitait, ne pas être mélangé avec les autres politiques.