Nous connaissions les hard skills. Nous ne jurions que par les soft skills. Mais connaissez-vous les petites dernières du jargon managérial ? Tout droit venues de la Silicon Valley, ce sont les mad skills qui font aujourd’hui parler d’elles. Symboles d’un monde professionnel en transition ou énième tic de langage à la mode ? On vous en dit plus sur ces fameuses « compétences folles ».
Si nous avions fini par nous familiariser avec le duo hard skills / soft skills, la notion de mad skills reste encore nébuleuse. Difficile de les différencier de leurs proches cousines, les soft skills. Pourtant, il existe bien une différence subtile. Soft et mad skills, contrairement aux sévères hard skills, touchent à la personnalité, à l’état d’esprit, au savoir-être. En cela, ces deux notions sont soeurs. Toutefois, les mad skills apportent une touche supplémentaire de piquant, d’originalité. Elles sont de l’ordre de l’atypisme et rassemblent des compétences jugées « hors du commun ».
Les mad skills chouchoutes des entreprises ?
Si les mad skills jouissaient déjà d’une certaine popularité, le contexte actuel, propice à la transformation, pourrait amener à une course aux « compétences folles ». Là où les hard skills assurent la compétence technique et le savoir-faire, les soft skills permettent la cohésion d’équipe. Mais ce sont les mad skills qui font la promesse de l’innovation. Et c’est bien en période de crise et de questionnement que les entreprises ont le plus besoin d’innover et de se réinventer. Dès lors, elles comptent sur l’originalité et la singularité de leurs collaborateurs et placent beaucoup d’espoir en ceux qui se montrent particulièrement aptes à penser en dehors du cadre.
Fin 2019 déjà, une enquête menée par Indeed, indiquait que 62% des recruteurs souhaitaient constituer des équipes les plus diversifiées possible. Ils capitalisent ainsi sur la complémentarité et font la preuve qu’une équipe performante se compose de profils variés. Dans cette même étude, on peut lire que 53% des recruteurs recherchent des candidats avec une grande capacité d’adaptation. Une posture très cohérente avec le monde en perpétuelle évolution dans lequel nous vivons aujourd’hui.
Dès lors, les dirigeants en quête de profils atypiques cherchent des personnalités polyvalentes, flexibles, capables d’apporter un autre regard, des idées décalées, voire disruptives ; Des personnes qui permettront à l’entreprise de se réinventer. Aucune pression. Mais une fois recruté, le collaborateur « atypique » doit pouvoir évoluer dans un environnement propice à l’émergence de son plein potentiel. Il doit être suffisamment libre et autonome pour laisser libre cours à sa créativité et à sa vision décalée.
Sommes-nous tous dotés de mad skills ?
Ces « compétences folles » se cachent bien souvent entre les lignes d’un CV rocambolesque, truffé d’expériences variées, parfois courtes. Une revanche pour les indécis au parcours sinueux, qui n’ont jamais eu d’idée bien claire de ce qu’ils attendaient de la vie. Aujourd’hui, leurs allers-retours, leurs errances et leurs tâtonnements se voient récompensés. Elles se trouvent également dans la rubrique « centres d’intérêt », résumées sobrement en quelques activités et hobbies. C’est pourquoi, selon l’enquête Indeed citée précédemment, 68 % des recruteurs attachent de l’importance aux expériences personnelles présentées sur le CV. Et 54 % déclarent qu’une expérience professionnelle atypique a déjà eu un impact positif sur leur décision d’embauche.
Pourtant, si l’avènement des mad skills en entreprise met en joie les originaux de la première heure, il a de quoi inquiéter les « profils types » qui ne nourrissent pas de passion démesurée pour le parachute ascensionnel. On entend déjà grincer des dents les plus diplômés d’entre eux. Ceux qui ont suivi la voie soi-disant « royale » mais bel et bien rectiligne : bac scientifique, classe préparatoire, major d’une grande école. Et on comprend leur malaise. Pourquoi se donner tant de mal à développer ses hard skills s’il suffit d’un road trip en Ouzbékistan pour décrocher le job de ses rêves ?
S’il fallait donner notre avis, nous aurions tendance à dire que chacun est unique. L’originalité ne réside pas seulement dans le type d’activité exercée, mais bien dans la manière de le faire. Surtout, l’important reste les compétences développées grâce à ces centres d’intérêt : patience, esprit d’équipe, persévérance, créativité, etc. Aussi, les recruteurs en quête de mad skills gagnent à apporter une attention toute particulière à cette rubrique hobbies. Mais pour mettre la main sur une pépite, ils doivent veiller à ne surtout pas discriminer des activités d’apparence très ordinaire. Parfois, gratter le vernis, poser les bonnes questions, s’intéresser à ce qui se trouve en dessous de la surface peut aboutir à la découverte de nombreuses compétences.
Le risque de l’anticonformisme conforme
Cependant, cet enthousiasme pour les mad skills peut interroger. L’originalité est-elle devenue la nouvelle norme ? L’atypique est-il maintenant le nouveau « profil type » ? Penser en dehors du cadre est-ce la nouvelle façon de penser droit ? Vous voyez où on veut en venir… Si l’on encourage avec force les candidats à développer des « compétences folles », ne risquons-nous pas de faire émerger une armée de prétendus originaux qui n’auront justement plus rien de singulier ? Le risque avec cette folie des mad skills, c’est de faire sortir des personnes de la case « profils types » pour les ranger immédiatement dans celle des « originaux types », et en cela annuler leur petit truc en plus si prometteur. Car, de la même manière que le bien ne peut exister sans le mal, l’originalité n’apparaît qu’au milieu de l’ordinaire.
Même si les candidats ne perdent rien à insuffler un soupçon d’âme dans leur rubrique « hobbies », hautement stratégique, cette tendance aux « mad skills à tout prix » peut s’avérer complexante. Que faire si nos passions ne représentent rien d’exceptionnel ? La réponse peut dérouter par sa simplicité : il suffit d’être soi-même. La normalité plaît aussi et certaines entreprises, au contraire, se méfient des profils trop turbulents. L’essentiel réside dans l’authenticité. À trop vouloir en faire, certains candidats pourraient oublier d’être eux-mêmes, alors que c’est justement leur vraie personnalité qui intéresse les recruteurs.
Surtout, et cela devrait rassurer les bons élèves, c’est finalement le juste équilibre entre hard, soft et mad skills qui fait la différence. Car si les grandes entreprises s’essayent doucement à la disruption et à l’esprit start-up, dans beaucoup de secteurs les compétences techniques restent une condition sine qua none à un bon recrutement. Ne pensons donc pas plus que nécessaire à ce maudit triptyque : hard skills, soft skills, mad skills. Restons tout simplement nous-mêmes.
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