[Redit*] A 26 ans, Victoire Dumont a créé seule son entreprise dans le domaine de l’art. Après deux ans dans cette aventure, elle a fait le choix de redevenir salariée. La solo founder raconte son histoire sur le blog d’Astrid Seulliet. Témoignage.
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« Après le lycée, je me suis lancée dans des études de droit. Mais dès que l’été arrivait, j’en profitais pour réaliser des stages dans des startups plutôt que dans des cabinets d’avocat. Ces structures de taille réduite avaient un côté concret et stimulant qui me plaisait beaucoup. Je bouillonnais d’idées et j’avais envie de lancer des projets chaque semaine. Les études de droit me lassant un peu et ne correspondant pas réellement à mes attentes, j’ai pris la décision de me réorienter, après quatre ans, vers une école de commerce.
Mes premiers pas en tant qu’entrepreneuse, en freelance, c’était pour la galerie d’art de mon beau-père en parallèle de mes études, en 2016. J’ai réalisé, avec l’aide d’un ami, son site vitrine pour vendre ses œuvres en ligne. C’est là que j’ai commencé à toucher du doigt la tech. D’autres galeries se sont montrées intéressées. J’ai alors fait le choix de développer une marketplace pour galeries d’art où je prenais une commission sur les ventes : Artset. Mais la valeur ajoutée de notre marketplace était limitée par rapport à d’autres solutions déjà existantes sur le marché.
Au bout de quelques mois, j’ai fait évoluer l’offre d’Artset pour mieux correspondre aux attentes des acheteurs. Je proposais alors aux collectionneurs d’art un moyen simple de trouver les œuvres correspondant à leurs critères, bien souvent très spécifiques, tout en respectant leur besoin de confidentialité. Via le site, les collectionneurs d’art prenaient contact avec moi et je partais alors en quête de la perle rare pour eux. Cela fonctionnait bien. En trois semaines, j’avais déjà reçu plus de 150 demandes. Mais cela me prenait énormément de temps car je faisais tout à la main. Très vite, je n’étais plus suffisamment efficace pour répondre à toutes les sollicitations.
Pour gagner en efficacité, il fallait que je puisse me connecter directement à l’inventaire des marchands. La difficulté, c’était que les marchands d’arts n’étaient pas équipés pour gérer correctement leurs inventaires, leurs fichiers clients et la facturation. Beaucoup de ces étapes étaient encore réalisées manuellement par faute d’offre sur le marché répondant à leurs contraintes, très particulières.
“J’avais identifié un besoin pour simplifier les tâches administratives des galeries d’art”
J’avais un coup à jouer et j’ai souhaité développer cette nouvelle offre complémentaire au sein d’Artset : la gestion d’inventaire et le CRM. C’est là que j’ai créé juridiquement la structure à 26 ans, en février 2017.
Le pivot de la société
C’était trop ambitieux et j’étais seule dans ce projet. En avril 2017 (deux mois après la création d’Artset), j’ai donc décidé de laisser temporairement de côté cet aspect recherche/vente pour me concentrer sur le développement d’une application mobile dédiée à la gestion administrative des galeries d’art. Cela me permettait aussi de m’orienter vers un business model sur abonnement plutôt que dépendant de commissions, par définition fluctuantes.
“Je suis passée d’un business model basé sur des commissions à des abonnements.”
Avec l’aide d’une Junior Entreprise, j’ai pu développer l’application tout en limitant les frais au maximum. Je finançais ce projet sur mes fonds propres et grâce à une subvention de la Bpi… Trois mois plus tard, j’avais mon premier prototype. Après six mois de tests et d’optimisations, j’ai commencé à monétiser Artset. C’était en mars 2018, environ un an après la création de la structure.
Je me faisais accompagner par un ami, data architect et développeur full stack pour gérer la partie technique et m’aider à sélectionner les bons prestataires. Son aide m’a été précieuse mais il me fallait plus. Ce que je vendais était un produit tech. J’avais donc besoin d’une personne de façon permanente, qui possède les compétences techniques pour travailler à mes côtés au quotidien, faire évoluer le produit en fonction des retours des clients, le maintenir stable.
A la recherche d’un associé CTO
Me voilà donc en quête d’un CTO pour s’associer avec moi. Je ne pensais pas que cela serait aussi compliqué. J’y ai passé presque la moitié de mon temps pendant un an… C’était énorme. J’ai écumé les meetups, les plateformes de freelances, LinkedIn. Mais difficile de convaincre lorsque l’on ne peut pas s’aligner sur les prix du marché.
A force d’acharnement, j’ai trouvé deux personnes souhaitant tenter l’aventure. J’avais développé une stratégie pour identifier des profils tech: je me rendais sur des groupes Meetup parlant du langage informatique Python (celui sur lequel est basé Artset). Je visitais ensuite les profils LinkedIn des développeurs appartenant au groupe. J’en ai alors identifié un qui avait une galerie à côté. Lors de nos échanges, il a naturellement été sensible à mon projet. C’est comme ça que j’ai trouvé mon 1er CTO. Nous avons collaboré pendant six mois. Malheureusement, nous n’avions pas les mêmes ambitions ni la même vision. J’avais l’envie d’aller loin, vite, en m’appuyant sur des levées de fonds. Lui, était sur une stratégie de développement plus lente en cherchant à garder au maximum le contrôle sur le capital de l’entreprise. D’un commun accord, nous avons mis fin à notre collaboration.
“Nous n’avions pas la même vision pour Artset. Notre collaboration en tant qu’associés s’est arrêtée là.”
Fin 2018, me revoilà en quête de mon nouveau futur CTO… Sur AngelList, j’ai alors publié une annonce de recrutement. Une personne s’est montrée intéressée par Artset. Nous nous sommes mis d’accord sur un prix raisonnable pour quelques mois, suivi d’une embauche, conditionnée à la réussite de ma levée de fonds. Je commençais à être à court de financements, c’était donc indispensable.
L’arrivée à Station F et les investisseurs
A peu près au même moment, j’ai eu la bonne surprise d’être acceptée à Station F, au sein du Founders Program. C’était pour moi inespéré et j’avais l’espoir que cela m’ouvre de nouvelles perspectives. Station F, c’est plus de crédibilité pour attirer des talents, mais aussi plus de facilité pour entrer en relation avec des investisseurs (dont certains ont des bureaux sur place) et les rassurer.
Malheureusement, les investisseurs rencontrés n’ont pas suivi, pour plusieurs raisons évoquées telles que…
- Un projet qui leur semblait trop risqué
- Un cycle de vente trop long
- Un panier moyen trop bas
Après trois mois de collaboration avec mon CTO, nous avons donc dû mettre un terme à notre deal et je me retrouvais de nouveau seule aux commandes.
Le plus difficile est que j’avais rencontré un business angel au tout début de mon projet de gestion administrative pour les galeries, sans que j’ai le moindre prototype. C’était un ami de ma mère, entrepreneur. Il voulait investir et avait convaincu d’autres investisseurs de suivre jusqu’à atteindre 150k€. J’ai demandé conseil mais ceux que j’ai reçus n’ont pas été les bons. J’ai décliné la proposition car je me souciais trop de la valorisation. A l’époque, je n’étais pas très entourée, pas encore immergée dans l’univers des startups comme j’ai pu l’être à la fin de mon projet.
A posteriori, en réalité, en pre-seed, la valorisation du capital importe peu à mon sens. J’aurais dû accepter. Je pensais pouvoir négocier une meilleure valorisation lorsque j’aurais un produit et des premiers clients payants. Or, je n’avais pas mesuré que cela serait si long pour convaincre les premiers clients, ni que cela coûterait aussi cher de développer le produit.
Retour à la vie de salariée
Après l’échec de ma levée de fonds et deux ans et demi à porter seule le projet, j’ai préféré tourner la page d’Artset. Aujourd’hui, je suis devenue Product Manager, salariée, dans une startup. En tant que membre d’une équipe, je suis entourée. J’ai les moyens de faire avancer les choses.
Je me pose toujours des questions quant au maintien de mon projet dans les prochains mois. J’ai toujours des demandes de clients, mais avec mon nouveau travail, je manque de temps pour gérer les deux. De plus, Artset n’est pas encore rentable et génère des frais de maintenance, de gestion comptable, juridique, etc.
Pour plus tard, je garde dans un coin de ma tête d’entreprendre à nouveau, mais cette fois avec quelqu’un !
Les enseignements de mon aventure entrepreneuriale
Avec le recul, je pense je n’ai pas toujours focalisé mon énergie sur les bons leviers. Je suis restée trop concentrée sur le produit et son évolution, et pas assez sur les ventes. Je voulais le produit le plus parfait possible, quitte à en délaisser le commercial. Pourtant, il ne faut pas hésiter à commencer à vendre, même si son produit n’est pas parfait. C’est ce que tout le monde dit, mais plus facile à dire qu’à faire !
“Il ne faut pas hésiter à commencer à vendre, même si son produit n’est pas parfait”
La recherche d’un associé CTO a aussi été extrêmement compliquée et m’a clairement pénalisée. J’y ai passé beaucoup trop de temps (ndlr : Cf article de Victoire sur Medium).
“Etre solo founder peut être un handicap”
La perception des autres sur les fondateurs qui sont seuls est en effet parfois difficile à vivre. Ce n’est pas valorisé, mais plutôt vu comme un handicap. Certains incubateurs en font même un critère de sélection : “tu es solo founder, tu ne rentres pas” ; “Comment convaincre des investisseurs alors que tu n’as pas réussi à trouver une personne pour s’associer avec toi ?”. Lors de discussions, je sentais le regard des autres sur moi changer lorsque je disais que je portais le projet seule. Au point qu’il m’est même arrivé de m’inventer un associé !
“Etre seul pour mener un projet c’est dur, mais ce n’est pas impossible. Par contre, pour les investisseurs, c’est un no go.”
Je reste convaincue qu’entreprendre seule est possible pour débuter un projet. Cela permet d’aller plus vite, de ne pas avoir de désaccords à gérer. Mais sur le long terme, être en mesure de s’associer avec quelqu’un est indispensable. Une équipe solide est plus importante que le projet en lui-même.
*Article publié le 14 octobre 2019