[Interview] Adrien Aumont, co-fondateur de KissKissBankBank : « A 14 ans, j’ai décidé de ne plus jamais aller à l’école »

[Interview] Adrien Aumont, co-fondateur de KissKissBankBank : « A 14 ans, j’ai décidé de ne plus jamais aller à l’école »

Adrien Aumont avance avec les tripes. Le co-fondateur de KissKissBankBank (qu’il a quitté en juin 2019) est un ancien décrocheur dont la curiosité n’a jamais cessé d’être un moteur. Il témoigne de son parcours unique à l’occasion de la journée du refus de l’échec scolaire, organisée par l’Afev.

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Vous avez arrêté l’école à 14 ans. Comment l’avez-vous vécu ?

J’ai eu la chance de grandir dans des quartiers aisés parisiens. On ne m’a jamais mis la pression par rapport à la scolarité ou aux études. J’ai été épargné par rapport à ça. En revanche, je ne me suis jamais senti à ma place dans aucune des écoles où je suis allé, de la maternelle au secondaire. J’ai fait cinq ou six collèges en trois ans. A 14 ans, je me suis réveillé en décidant de ne plus jamais aller à l’école. J’étais en passe de tripler ma quatrième. Il a fallu convaincre ma mère que l’école n’était pas faite pour moi et commencer à travailler.

Comme j’étais dans l’illégalité, nous avons trouvé une parade : prendre des cours par correspondance que je ne faisais pas. Ça me permettait d’être inscrit, en évitant assistants.es sociaux ou police. J’ai travaillé gratuitement, de 14 à 16 ans, dans tous les métiers possibles et imaginables du cinéma grâce à une lettre d’assurance de ma mère. A 16 ans je me suis fait émanciper par le juge des tutelles, qui m’a permis de travailler légalement et d’être « majeur » avant l’âge.

Qu’est ce qui se passe dans la tête d’un jeune homme qui suit un chemin si atypique ?

Je n’avais pas envie de rentrer dans des cadres stricts. Les médecins parlaient de phobie scolaire à l’époque. Je ne sais pas exactement à quoi ça correspond. La chance que j’ai eue, c’est que ma mère faisait très attention à ses enfants. L’école me rendait extrêmement malheureux, donc j’ai vécu cette période comme un énorme soulagement. Et en même temps, c’était un grand saut dans l’inconnu et dans le monde que tout jeune redoute : celui de la vie active. Des nouvelles problématiques s’ouvraient à moi. J’étais prêt à les affronter pour être en cohérence avec les choix que j’avais faits.

Vous avez ensuite monté une boîte de production?

D’un côté j’étais acteur pour des téléfilms, ce qui me permettait de gagner ma vie, et par la force du hasard je me suis aussi retrouvé assistant personnel de Thierry Ardisson, à l’époque de Tout le monde en parle. Ensuite j’ai arrêté de jouer et en parallèle, je réalisais des courts-métrages et des making-off. Je faisais mes armes tout en continuant mon travail d’assistant. J’ai grandi dans une famille proche du cinéma ; je ne me voyais pas faire autre chose, c’était mon rêve et je partais du principe que c’étaient des métiers qu’on pouvait faire sans avoir aucun diplôme. Cela dit, je me suis rendu compte que je n’étais pas forcément fait pour ces métiers ! Je n’étais pas à ma place mais j’ai énormément appris. Faire des films c’est être capable d’organiser des choses très compliquées avec très peu de moyens et de temps. Ça apprend à diriger une équipe et réaliser des utopies. D’une certaine manière, c’est une école de la vie absolument extraordinaire.

Vous avez co-fondé KissKissBankBank en 2010, vous aviez alors 23 ans…

Oui j’étais le plus jeune de la bande [avec sa cousine Ombline Le Lasseur et le mari de cette dernière, Vincent Ricordeau, N.D.L.R.]. Nous avons beaucoup appris en montant cette entreprise qui, à la base, est une utopie. Il y a 12 ans on nous regardait avec de grands yeux lorsqu’on annonçait que les gens allaient se financer entre eux, en passant par des plateformes internet. Je suis celui des trois qui a eu le plus à apprendre à ce moment-là.

Y a-t-il d’autres personnes qui sortent du lot dans votre parcours, qui ont été des mentors.es ou des sources d’inspiration ?

Oui, un homme qui m’a pris sous son épaule et m’a fait lire des livres lorsque j’ai arrêté l’école, ma cousine Maud qui est quelqu’un de très important pour moi et qui m’a présenté à tout son réseau, et enfin, même s’il ne doit pas se souvenir de moi, il y a aussi Thierry Ardisson pour qui j’ai travaillé pendant trois ans. C’est quelqu’un d’extrêmement dur. Il m’a mis du plomb dans la tête, moi qui n’avais pas connu d’autorité masculine à la maison. J’aime apprendre au fil de l’eau, donc je me raccroche à toute personne autour de moi qui peut me faire progresser.

Vous êtes clairement ce que l’on appelle un entrepreneur à succès, que ce soit avec KissKissBankBank, Hellomerci ou Lendopolis. Finalement, l’entrepreneuriat c’était un hasard ou une évidence ?

Une évidence car j’ai entrepris dès mon plus jeune âge. Dans la culture, puis dans la communication et la publicité, avec une première boîte à 16 ans [l’agence epidemiK spécialisée dans la viralité, N.D.L.R.], une autre à 18 ans. J’ai aussi été salarié dans la publicité. En fait, je ne me considère pas forcément comme un entrepreneur, plutôt comme un entreprenant. C’est un caractère qu’on développe dans l’entreprise, ou le monde associatif, le secteur culturel et artistique, etc. C’est un tempérament qui pousse à avoir envie de faire des choses, à régler des problèmes ou encore, à améliorer la vie des gens. Pour moi il y a le tempérament entreprenant, qui est dans le ventre et fait avancer, il y a le fait de devenir un entrepreneur (être capable de partir de zéro et de monter une boîte), et enfin, il y a la compétence de chef d’entreprise. C’est-à-dire le management, la gestion, etc. Un très bon entrepreneur n’est pas forcément un très bon chef d’entreprise et vice versa.

« Je ne me considère pas comme un entrepreneur : plutôt comme un entreprenant »

 

Si tout cela était à refaire, vous changeriez quelque chose ? Avez-vous des regrets ?

Je changerais beaucoup de détails mais dans les grandes lignes, non. A notre époque le monde évolue si vite ; je pense que c’est une force d’être autodidacte car ça évite d’être dans des carcans et des apprentissages un peu trop figés. Cela permet d’avoir une appréhension du monde qui est peut-être la bonne. Ce parcours d’entreprenant fait que je suis aujourd’hui un entrepreneur, et si j’avais fait des études, j’aurais été un meilleur chef d’entreprise. 

On présente souvent l’entrepreneuriat comme une suite logique pour les personnes en décrochage scolaire. Qu’en pensez-vous ?

Nous sommes à une époque qui laisse peu de place aux autodidactes. Dans les années 50-70, il y avait beaucoup plus de décrochages scolaires qui réussissaient. Le marché du travail n’était pas le même ; on pouvait arrêter l’école très jeune et faire de grandes choses. Notre époque uniformise et veut des spécialistes dans tout. On perd énormément de talents en ne laissant pas de place à ce type de parcours. D’autre part, il n’a jamais été aussi difficile de trouver un emploi et aussi facile de monter une entreprise. On a mal perçu les entrepreneurs pendant très longtemps ; il y avait un amalgame avec les patrons d’entreprises.

Depuis sept ans, l’entrepreneur est devenu une star. Les jeunes préfèrent être codeurs et développeurs, plutôt que de faire de la musique et du cinéma ! Cette mode est une injure à tous les autres membres de notre société, qui sont majoritairement heureux dans le salariat. C’est pourquoi je reviens au tempérament d’entreprenant plutôt qu’au métier d’entrepreneur, qui met trop de gens au bord de la route. Je préfère valoriser les entreprenants, cet empowerment, plus que l’entrepreneur ou le chef d’entreprise.

A quoi devrait ressembler l’école idéale selon vous ?

Les pédagogies alternatives (Montessori, Steiner, etc.) développent la curiosité, la vie en société, le respect des autres et la capacité à trouver en soi ce qu’on a de meilleur et ce qui nous ressemble le plus. Ce sont des écoles qui sont proches du développement personnel. Il y a aussi des initiatives comme celles de Jérémie Fontanieux, quelqu’un qui m’est très cher. Il est professeur dans le public et innove énormément au sein de ses classes, dans des quartiers d’éducation prioritaire, pour améliorer notre rapport à la pédagogie.

Ce que j’ai pu constater c’est que l’école classique nous apprend beaucoup de choses, mais ne développe à aucun moment la curiosité. Un jour un grand avocat m’a dit : « Si tu savais le nombre d’idiots qui ont réussi ! » Ma traduction c’est qu’il existe une certaine égalité des chances, mais c’est une question de travail acharné. Or pour tout donner, il faut une passion derrière. Cette passion, on la trouve en étant très curieux. Voilà ma recette. Personnellement, j’ai beaucoup d’envies et quand je me fixe sur une envie, elle devient une passion et là, je suis capable de tout donner pour elle.

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