Conçue pour les sourds et malentendants, Ava sous-titre en temps réel les échanges dans un groupe. Simple à utiliser, intelligente, l’appli veut changer la vie de ses utilisateurs.
Seul entendant dans une famille de sourds, Thibault Duchemin a su très tôt à quel point la surdité pouvait compliquer les vies sociale et professionnelle. Suivre une conversation, en famille ou entre amis, ou participer à une réunion demande toujours une extrême concentration. Même équipé d’un appareil auditif, même avec la lecture labiale, l’exercice devient vite épuisant et l’on finit souvent par se mettre en retrait.
C’est pour aider à rompre l’isolement des personnes atteintes de troubles auditifs que Thibault s’est lancé dans l’aventure de l’entrepreneuriat. Avec une idée précise en tête : mettre au point une application de transcription instantanée des conversations, accessible depuis un terminal mobile. Un équipement à portée de main dont dispose pratiquement tout un chacun.
De l’idée à la solution
L’occasion de sauter le pas lui est donnée aux Etats-Unis. Fraîchement diplômé de l’école nationale des ponts et chaussées, il part dans la Silicon Valley pour travailler au sein d’une startup spécialisée dans l’intelligence artificielle et le machine learning. Dans la foulée, il décroche un master d’ingénierie à l’Université de Berkeley. C’est là, durant son master, qu’il rencontre deux de ses futurs associés, Skinner Cheng et Pieter Doevendans avec lesquels il va fonder, en 2014, l’appli Ava. « Skinner, notre CTO, était intéressé au premier chef, car il est lui même sourd« , explique Thibault, aujourd’hui CEO d’Ava.
Commercialisée depuis 2016, cette appli de reconnaissance vocale s’active de façon très simple, moyennant une courte phase de calibrage. Pour l’utiliser, il faut en effet que les participants à la conversation l’installent sur leur mobile et qu’ils la paramètrent. Cela permet à Ava d’apprendre à reconnaître la fréquence de chacune des voix. Le tout prend moins de deux minutes. Puis, pour suivre les échanges, la personne malentendante n’a plus qu’à lire les prises de parole retranscrites en temps réel sur son terminal. L’application lui propose en outre un système de codes couleur pour identifier clairement « qui a dit quoi ».
À l’usage, Ava est aussi conviviale qu’un chat. Téléchargeable sur smartphone et tablette, elle évite de devoir recourir systématiquement à un interprète spécialiste de la langue des signes. L’appli redonne ainsi une réelle autonomie aux malentendants qui ne sont plus tenus à l’écart. Plusieurs fois récompensée, Ava a notamment reçu le prix Ocirp handicap 2017, dans la catégorie « Recherche appliquée et innovations technologiques », mais aussi le Grand Prix Moovjee 2018.
La R&D, centrale pour lever les risques d’échec
Car c’est bien d’innovation dont il est ici question. Comme souvent, derrière la simplicité de l’interface utilisateur se cachent des technologies pointues. Pour être la plus fluide et performante possible, l’application fait appel à des algorithmes puissants qu’il faut sans cesse perfectionner et entraîner, pour optimiser la compréhension, gagner en précision, apprendre à reconnaître les accents, intégrer de nouvelles langues, etc.
À l’instar de toutes startups investies dans le champ des nouvelles technologies, Ava consacre une part importante de ses investissements à la R&D. « C’est une question de crédibilité, souligne son CEO, évoquant sa crainte que « l’application ne soit pas adoptée si elle se montrait peu utile, peu fiable et imprécise. Pour lever ce risque d’échec, qui a pas mal pesé au début, nous avons veillé à nous entourer des bonnes personnes, notamment de data scientists« . L’entreprise s’appuie aussi beaucoup sur le retour d’expérience de ses utilisateurs pour avancer. « Quand ils nous disent qu’Ava leur change la vie, cela nous donne la force de surmonter n’importe quelle difficulté« .
Depuis le lancement, fin 2016, le nombre d’utilisateurs ne cesse de grimper : plus de 100.000 téléchargements aux USA et 60.000 en France, second territoire de conquête de l’entreprise. Et le potentiel est énorme. Selon l’OMS, il y aurait 460 millions de personnes sourdes ou malentendantes dans le monde et 6 millions en France.
Au-delà de son cœur de cible, l’entreprise réfléchit d’ores et déjà à d’autres applications pour les entourages. Par exemple, utiliser la reconnaissance vocale pour faciliter la prise de notes. Pour les créateurs d’Ava, résolument engagés en faveur de l’accessibilité, plus l’usage de leur appli sera répandu, plus il sera facile et naturel pour les malentendants de la proposer comme moyen de communication, sans contraintes. De quoi ouvrir leur champ des possibles.