En 2017, 3500 étudiants ont obtenu le statut d’étudiants-entrepreneurs en France ; un engouement pour l’entrepreneuriat manifesté par des jeunes en quête d’indépendance, lassés de l’éternelle chasse au CDI. Parmi eux, Théo Scubla n’a pas attendu de finir ses études pour monter son projet solidaire.
Théo Scubla a 23 ans, un accent chantant et un esprit intrépide. Étudiant à l’ESCP, il a lancé Wintegreat il y a trois ans. Son principal objectif est de faire le lien entre grandes écoles et personnes réfugiées en leur proposant un programme d’aide à l’intégration professionnelle et sociale. Durant douze semaines, les participants assistent à des cours d’anglais, de FLE (Français Langue Etrangère) et de « Vivre en », afin de favoriser l’acculturation. Dispensé dans les grandes écoles, ce programme permet également de rencontrer des recruteurs.
« Ce qui me “drive”, c’est de créer de manière générale »
Derrière l’étudiant exemplaire et l’entrepreneur actif se cachent à la fois une personnalité affirmée et un goût du challenge : « au départ, moi je suis un musicien ; ce qui me “drive”, c’est de créer, de manière générale. J’ai toujours voulu me mettre en mouvement, et la meilleure façon de le faire, c’est d’entreprendre le plus tôt possible. »
Pour Théo Scubla, le déclic s’est produit suite à la publication de la photo d’Aylan Kurdi, l’enfant syrien décédé sur une plage de Bodrum en Turquie, devenu symbole de la crise des réfugiés. Face au misérabilisme des réactions suscitées par cette photo, et à l’inaction des pouvoirs publics, il a décidé de prendre les choses en main. « Plus de 60% des réfugiés qui arrivent ont un niveau secondaire et plus ; en ne faisant rien pour favoriser leur insertion scolaire et professionnelle, on assiste à un gâchis de talent monumental, c’est injustifiable ! »
« Tout le monde voulait faire des collectes de vêtements […] on n’était pas sortis de l’auberge ! »
Du projet utopique à l’action, il n’y a qu’un pas. Pourtant, les conditions n’étaient pas forcément favorables car Théo Scubla est issu d’une famille « modeste » et ne dispose « d’aucun réseau », tout comme son acolyte Eymeric Guinet, cofondateur de Wintegreat. Le point de départ de leur aventure a été la carte blanche accordée par Frank Bournois, directeur de l’ESCP Europe.
Malgré la mobilisation de 140 bénévoles dès le 3ème jour, l’entreprise a connu des débuts balbutiants. « Au départ, le projet n’était pas bien défini, et il n’existait pas de solution sur le long terme. Tout le monde voulait faire des collectes de vêtements alors que ce n’était pas le but ! On n’était pas sortis de l’auberge… ». Les deux étudiants ont dû canaliser cet engouement, et mieux structurer leur action, en puisant des conseils auprès de leur entourage et en organisant des sessions d’écoute avec les personnes réfugiées.
« Entreprendre, c’est “se donner la permission de …” »
Grâce à sa détermination, le duo a mené son projet de front en parallèle des études. Jongler entre la vie étudiante et celle d’entrepreneur n’est pas de tout repos, notamment quand les deux amis ont dû partir à Berlin pour leurs études : en six mois, ils ont effectué douze allers-retours pour rencontrer des partenaires.
Mis à part ce semestre à distance, Théo Scubla ne semble pas du tout dépassé quand il s’agit de faire cohabiter son projet, sa vie scolaire et ses relations sociales. « On mène une vie normale d’étudiants, même si on reste focus. On travaille énormément mais on prend ça comme du plaisir ».
Cette année, Théo Scubla prend une année de césure. Il consacre tout son temps à Wintegreat ainsi qu’à ses futurs projets. En septembre, il compte reprendre un parcours aménagé avec une option entrepreneuriat. Mais le jeune homme voit déjà plus loin : « Finalement, dans ma tête j’ai fini les études depuis longtemps, le projet existe déjà. Entreprendre, ça revient à “ se donner la permission de …” »
« On nourrit la prétention de s’adresser à des problèmes colossaux. C’est précisément de là que vient la motivation »
Aujourd’hui, Wintegreat dispose de partenariats avec de prestigieuses écoles dont Sciences Po, ESCP ou encore HEC Paris, entre autres. 500 personnes ont pu bénéficier de leur aide cette année, avec un taux d’insertion professionnelle qui atteint les 75%. Et pour la suite ?
Théo Scubla voit grand : « Dans ce milieu, on nourrit la prétention de s’adresser à des problèmes colossaux. Et c’est précisément de là que vient la motivation. Nous allons grossir et devenir l’opérateur principal, en France, de la formation professionnelle des migrants. » L’étudiant a fondé il y a un an WERO, le premier cabinet spécialisé dans le recrutement de personnes réfugiées. La solidarité semble avoir de beaux jours devant elle.