À 38 ans, Yasmina a déjà vécu plusieurs vies. Le décès de son père, une liquidation judiciaire qui a suivi peu de temps après, son divorce. À bout de souffle et fauchée, elle n’a d’autre option que de retourner au bercail, chez sa mère. À travers un récit empreint d’honnêteté, elle revient sur ces sept dernières années qui ont marqué son âme à jamais.
En 2011, Yasmina décide de se lancer. Depuis toujours, elle rêve d’être son propre patron. Avec son mari, elle décide de racheter une entreprise de gros en fruits et légumes dans le Sud-Ouest de la France. « Mon ex-mari s’était joint à l’aventure mais j’étais la seule à avoir investi l’unique gérante », se sent-elle le besoin de nous préciser.
Une entreprise qui ne dispose pas d’une très bonne santé financière à l’époque, mais qui a des airs de « challenge » à relever pour la nouvelle patronne. « En saison, ils étaient 17 à travailler, et en hiver seulement 2. Tout était laissé à l’abandon. Je m’étais fixé 5 ans pour réussir, et faire grandir l’entreprise ».
L’entrepreneuse entame alors une restructuration, emploie 5 personnes à temps plein, investit dans 5 camions de livraison, met en place des outils de fidélisation de ses clients… Un travail qui paye. En 2013, son bébé réalise plus d’un million de CA ; un résultat 4 points au-dessus de la moyenne nationale sur ce secteur d’activité. Mais la même année, et après avoir subi les inondations de 2012 qui avaient creusé sa trésorerie, son père décède.
« Quand mon père est décédé, ça a été une bulle de verre qui a explosé »
« J’étais déjà éprouvée par mes journées, je travaillais souvent les nuits car dans ces métiers, vous n’avez pas d’autre option. Quand mon père est décédé, ça a été une bulle de verre qui a explosé, un énorme coup dur », nous confie-t-elle. Elle s’absente alors, 2 mois, pour se rendre au Maroc et laisse les rênes de son entreprise à son mari. « Mais ça ne l’amusait plus. »
Fin 2013, l’entreprise va mal, et Yasmina aussi. « Je commence une dépression, et mon couple bat de l’aile. Quelques mois plus tard, on a décidé de divorcer ». Épuisée mais lucide, celle qui avait tout quitté, 2 ans plus tôt pour se lancer dans une nouvelle aventure en est désormais réduite à réinjecter le peu d’épargne qu’il lui reste dans sa société pour tenter de la sauver. À ce moment, elle le sait, elle ne pourra plus s’essouffler longtemps à ce jeu et décide de s’ouvrir au marché. « J’ai annoncé que je mettais mon entreprise en vente. Ça a été ma plus grosse erreur. Mes concurrents savaient que j’allais partir, mais la seule chose à laquelle je pensais, c’était à sauver mes salariés. »
En 2015, après avoir remonté quelque peu la pente et avoir repris des parts de marché, une personne se propose de la racheter. « C’était la délivrance. Fin août, on s’est revu avec nos avocats pour se mettre d’accord sur une signature le 30 septembre. Le 27, j’ai décidé d’annoncer à mes salariés que je vendais. On s’est pleuré dans les bras, on était une vraie famille. Le soir même, l’acheteur s’est rétracté. Je devais 30 000 euros à la banque, et j’avais 3 jours pour les trouver. Autant vous dire que c’était mission impossible. »
« J’ai annoncé que je mettais mon entreprise en vente. Ça a été ma plus grosse erreur »
8 kilos en moins, et un passage chez le banquier qui ne donnera rien, Yasmina accepte l’idée de se mettre en liquidation judiciaire, sur les conseils de son expert-comptable. « La liquidation, c’est comme le cancer, tout le monde sait que ça peut arriver, mais personne n’en parle. Votre monde s’écroule. Vous vous sentez une moins que rien. Ce n’était même plus une histoire d’argent, ça faisait un an que j’avais fait une croix dessus, c’était pour mes employés que j’étais triste. J’avais littéralement échoué », raconte-t-elle. Au tribunal, Yasmina se souvient de la violence qu’elle a ressenti. « La symbolique d’entrer dans un tribunal, alors que vous n’avez rien volé, tué personne… Ils devraient faire ça ailleurs je trouve. »
Sans aucune assurance chômage, l’ex-chef d’entreprise revend ses meubles, avant de s’installer chez sa mère avec son fils. Pendant un temps, elle fait des extras, histoire de ses dire qu’elle n’est pas « bonne à rien », comme elle l’explique. En parallèle, elle contacte 60 000 rebonds. L’association la reprend tout de suite en main, lui attribue un parrain, construit avec elle son nouveau projet.
« La liquidation, c’est comme le cancer, tout le monde sait que ça peut arriver, mais personne n’en parle »
« Quand vous échouez, vous vous détestez. Ma coach était là pour me rappeler que je savais faire des choses. Ils m’ont donné la force de me remettre sur pied, aussi bien professionnellement, que moralement. Quand des mains se tendent, il faut avoir l’humilité de les saisir. Pour un chef d’entreprise c’est difficile parce qu’on déteste être accompagné. »
Deux ans plus tard, Yasmina a retrouvé un emploi en tant que responsable des achats pour une entreprise qui fait de l’export. C’est une femme endurcie, et pleine de vie qui repart à zéro, en toute humilité. « Si j’avais un conseil à donner aux personnes qui se lancent, ce serait de s’assurer. Car la chute peut être fatale. » Et si l’entrepreneuriat commence à la re-titiller, elle le sait, elle devra attendre un peu avant de retomber dedans…