10 ans après sa disparition, Jean-Luc Lagardère continue de façonner la culture entrepreneuriale française. Charismatique, boulimique et donc parfois un peu trop rapide, il a été l’un des plus grands dirigeants français de la deuxième moitié du XXe siècle. Portrait d’un entrepreneur inclassable.
« Il faut anticiper ». Trois mots qui à eux seuls, résument bien la philosophie de vie d’un des plus grands entrepreneurs français de l’après-guerre. D’autant plus vrai que jusqu’à sa mort en 2003, le monde s’est transformé de manière radicale : crises pétrolières de 1973 et 1979, vagues nationalisations-privatisations des années 80, avant de déboucher sur la mondialisation actuelle. Tout le monde n’a pas survécu.
Aussi à l’aise dans les palais de la République que dans les usines à discuter avec les ouvriers et les ingénieurs, Jean-Luc Lagardère aura toujours affiché un esprit de conquête. Il faut dire que l’entrepreneur appartient à la race des Gascons. Né le 10 février 1928 à Aubiet, petite localité du Gers, le jeune Jean-Luc a le tempérament bagarreur et de chef de bande. « À chaque coup de hache, on fait une fente », semble être sa devise.
Un industriel de son temps
Son diplôme de Supelec en poche, Jean-Luc Lagardère choisit l’industrie la plus prometteuse de l’après-guerre : l’aéronautique. Après 10 ans de bons et loyaux services au bureau d’étude de la Générale de l’aéronautique, où il fourbira ses armes avec un certain Serge Dassault, le destin lui fait rencontrer Sylvain Floirat, aventurier-entrepreneur à la fortune immense et aux PME de transport et d’électronique nombreuses. Parmi elles, Matra, petite structure anonyme – de 800 personnes tout de même – qui agit principalement dans le secteur de la défense et de l’électronique et dont il devient le directeur en 1963.
Et à cette époque, le monde de la Défense se porte bien. Entre les commandes du Moyen-Orient et sa vision dynamique des affaires, l’entreprise croît très rapidement sous sa direction. Très sportif lui-même, Jean-Luc Lagardère engage Matra dans la course automobile où la société en ressort grandie, grâce à trois victoires aux 24 Heures du Mans. Connu désormais du grand public, Matra gagne en crédibilité et connaît de grands succès commerciaux grâce à la vente de ses coupés sportifs. Mais Jean-Luc Lagardère connaît également ses premiers échecs, à l’exemple de la Bagheera ou la Murena, grands fours commerciaux. Ce qui n’arrête pas cependant l’entrepreneur. Au contraire !
L’interlocuteur privilégié des politiques
Face aux échecs commerciaux et la crise économique de la fin des années 70, l’entrepreneur choisit une politique de diversification. Il rachète nombre de PME proche des ses activés. À tort, il imagine d’ailleurs que ses activités d’électronicien sont transposables dans la vie civile. Résultat, la réussite fuit l’entrepreneur, mais l’alternance en 1981 et la nationalisation de Matra à 51% par l’État change les priorités. Ménagé par François Mitterrand, malgré son Giscardisme affiché, Jean-Luc Lagardère réussit à garder les rênes de Matra.
Une prouesse au regard du climat politique de l’époque. Encore une fois l’enseignement du dialogue direct de Sylvain Floirat lui aura été bénéfique. Son entregent fera le reste. Au final, il arrive toujours à se rendre indispensable aux yeux de la classe politique. Il lui faudra néanmoins attendre l’ultime privatisation de la 1ère cohabitation entre Chirac et Mitterrand, quelque mois avant la réélection de Mitterrand, pour que Jean-Luc Lagardère retrouve son « bien ». Il en profitera après pour diversifier, encore plus ses activités dans les années 90 et de lancer EADS, 1ère entreprise européenne, en 1999.
« … mais je n’ai jamais fait deux fois les mêmes » »
En parallèle, l’entrepreneur a toujours montré un intérêt certain pour les médias. Il faut dire qu’il a expérimenté la puissance de celle-ci aux yeux des politiques. « Un jour qu’il attendait dans l’antichambre d’un ministre, un hypothétique rendez-vous pour parler de missiles, Lagardère a vu passer devant lui un journaliste du service politique d’Europe 1 qui a été reçu immédiatement », racontent ses biographes Alexandra Schwartzbrod et Vincent Nouzille. Jamais il ne l’oubliera. Il rachètera 16% du capital de la radio à Sylvain Floirat, avant de la conquérir totalement à la fin des années 80.
Mieux, il voudra une chaîne de télévision à lui. « Pour être dans les premiers groupes mondiaux, il faut une télé », explique-t-il d’ailleurs une vingtaine d’années plus tard. À la surprise générale, il rate la privatisation de TF1 au profit de Francis Bouygues, mais pense se rattraper avec la cinq, dont l’aventure s’avérera calamiteux. Au point même qu’il sera obligé de fusionner Hachette, exsangue financièrement, à Matra en 1992. Son « plus grand echec », selon lui. Heureusement, l’industrie et la culture le sauvera toujours de la faillite.
Un choc dur, mais jamais fatal. « Vous savez, j’ai fait pratiquement toutes les erreurs dans ma vie, mais je n’ai jamais fait deux fois les mêmes », conclue-t-il dans un entretien aux cités de la réussite en 2002. Une phrase que tout entrepreneur devrait encadrer sur son bureau.