Il avait tout pour plaire : une physionomie de gendre idéal, une tête bien faite, une vision à long terme. Malheureusement, il n’a pas pu échapper au syndrome de l’infaillibilité. Mal encore trop répandu chez les entrepreneurs qui n’ont pas eu la chance de connaître, tôt, l’échec.
« J6M », pour Jean-Marie Messier « Moi-Même Maître du Monde ». Un surnom en symbole d’une mégalomanie qui lui restera adossé pour encore de nombreuses années. Pourtant, l’entrepreneur Français a longtemps incarné la France conquérante , avant de chuter presque anonymement en juillet 2002. La faute à une logique financière qui a pris le pas sur les ambitions industrielles. Un vrai gâchis qui aurait pu tourner au drame national, si le conseil d’administration sous l’impulsion de Claude Bébéar, ancien dirigeant d’Axa, n’avait pas mis le hola.
Il faut dire, ce fils d’expert-comptable a toujours été doué avec les chiffres. Polytechnicien à 20 ans, énarque et inspecteur des finances, Jean-Marie Messier a la tête bien faite. Et, comme tous les jeunes hauts fonctionnaires, les postes techniques à des ministères s’offrent à lui. Rien de particulier à signaler. À cela près que la privatisation massive de la période de cohabitation 1986-88 le met au centre du jeu. Appliqué et impliqué, il chapeaute toutes les les questions de privatisation dans le ministère d’Edouard Balladur. Son réseau naît de cette période.
Un sens médiatique certain
Mitterrand réélu, il rentre chez la banque Lazard pour en devenir un des associés-gérants à 32 ans à peine. Un rôle qui, visiblement ne lui convient pas. La preuve, il préfère intégrer la Générale des eaux en 1994. Guy Dejouany qui l’ a repéré décide d’en faire son successeur. Enfin le premier ! Mais Jean-Marie Messier n’a pas le temps de savourer. Les affaires de corruption se multiplient au sein du groupe, où plusieurs responsables sont mis en cause. Sans parler du niveau d’endettement. Celui-ci prend un ton rouge vif qui le rend particulièrement vulnérable.
Autrement dit, le baptême du feu. Et Jean-Marie Messier a l’air d’aimer ça. Sa méthode : agir vite et médiatiser. Ça vous rappelle un ancien Président ? Quoi qu’il en soit, les résultats sont au rendez-vous ! Mieux, les premiers ennuis écartés, il décide de passer à l’offensive. Il veut faire de son groupe un géant mondial. Et pour cela, une seule solution: la croissance externe. En 1999, il paye argent comptant une société d’eau Américaine 7 milliards de dollars. Dans les médias, il prend une participation de 30% dans le groupe Havas qui possède Canal + et une autre dans Cégétél qui, elle-même, contrôle SFR.
… Mais un poil cabotin
En 1999, il a la possibilité de contrer Vodafone qui aurait pu déboucher sur un géant des télécommunications Européen. Mais il refuse et préfère axer sa communication sur sur un portail internet avant que la bulle n’explose. Résultat, l’action s’envole. Avec cette trésorerie inespérée car surévaluée, J2M achète les actifs du Canadien Seagram, propriétaire de la « petite » société Universal. Vivendi Universal, un géant des médias était né. Argent, gloire et célébrité, Jean-Marie Messier se croit invincible. Autrement dit, les ennuis commencent.
Il achète une entreprise par mois. Il s’enorgueillit de l’introduction en bourse de New-York. Il raille « l’exception culturelle Française », remplace Pierre Lescure à la tête de Canal plus. Les employés protestent ? Il n’en a cure. Il n’empêche, la volée de bois vert est énorme en France. À cela s’ajoutent les difficultés financières, inhérentes à une politique de rachat démesuré. Les investisseurs commencent à douter. Mais en 2002, il affirme aux actionnaires que le groupe « va mieux que bien ». En réalité, l’entreprise perd 13,6 milliards d’euros. Un record qui tient toujours. La suite est connue. Lâché par son conseil d’administration, sous l’impulsion de Claude Bébéar, Jean-Marie Messier est obligé de démissionner en juillet 2002.
Incapable de retoucher terre, Jean-Marie Messier s’estime victime de machination de l’establishment, alors que son successeur, Jean-René Fourtou, démantèle Vivendi afin de ne pas mettre la clé sous la porte. Quoi qu’il en soit, sa carrière de grand patron international s’arrête à 46 ans.