…ou comment la créativité politique permettrait de sauver notre Europe. L’ordre établi, les habitudes sans bouleversements rassurent les dirigeants de notre pays. La petite amélioration, le bref ajustement, sont portés en triomphe et la rupture laissée à la porte des institutions.
Le déficit de créativité est encore plus fort dans le monde politique que dans le monde économique et social, et il semblerait qu’il soit encore plus élevé au niveau supranational que national. Afin d’imaginer une Europe plus créative et plus compétitive, nous nous devons de penser autrement. Inspirons-nous et amusons-nous à un exercice de créativité avec l’une des techniques d’innovation les plus courantes, l’outil « INVERSION » qui consiste à raisonner par l’inverse pour ouvrir son champ de créativité.
Prenons le cas de l’Allemagne qui est l’un des rares pays de la zone Euro à bien se porter quand la grande majorité des autres nations connaissent une croissance négative ou nulle, et de graves problèmes de chômage. Sa balance commerciale est largement excédentaire (+ 152,4 milliards d’euros en 2010)1, quand celle de la majorité des autres Etats membres accuse un fort déficit (France (-64,1 Mds), Espagne (-51,8 Mds), Italie (-27,3 Mds), Grèce (-22,4 Mds), Portugal (-20,0 Mds)). L’Allemagne est donc citée en modèle par nombre des dirigeants européens, et vantée pour son industrie, sa capacité d’innovation, sa fiscalité… Lors de son intervention télévisée du 27 octobre 2011, Nicolas Sarkozy déclarait vouloir « faire converger les économies françaises et allemandes », reprenant par là un vieux thème de la classe politique française.
Or décidons de ne pas céder à la facilité du discours et du raisonnement ambiants, renversons les codes et posons la question qui dérange : et si malgré les apparences le vrai problème de l’Union Européenne, c’était le modèle Allemand comme seul idéal de développement?
Les chiffres sont accablants, notamment pour les pays du Sud de l’Europe, parmi les plus endettés et les plus déficitaires. Angela Merkel concluait donc le 17 mai 2011, que dans ces pays « peu travailleurs », il faudrait que l’on arrête de « partir à la retraite plus tôt qu’en Allemagne » et « d’avoir beaucoup de vacances quand d’autres en ont très peu ». Heureusement, si ces pays fainéants, France inclue, travaillent peu, ils consomment ! En effet, l’Allemagne exporte à 60% au sein de la zone euro, et surtout, y réalise près de 56% de son excédent commercial, 79% si on élargit à l’UE à 273 ! Sa part de marché dans la zone euro a augmenté de près de 15 points depuis 2002.
Force est de constater que l’Europe est un marché qui convient bien à l’Allemagne. Cependant, sa balance n’est pas excédentaire vis-à-vis de tous les Etats, quelques pays « résistent » comme la République Tchèque, la Slovaquie ou la Hongrie. Quelle est donc la recette magique de ces pays dont on vante rarement la compétitivité ? Elle est simple : ils produisent à faible coût, sous-traitent pour leur voisin. Le Made in Germany est devenu le Made by Germany, démultiplié par l’entrée récente de ces quelques pays limitrophes dans l’Union Européenne. Porsche par exemple fabrique désormais ses Cayenne en Slovaquie, et les importe sans roues, ce qui est suffisant pour l’obtention du label…
A l’issue de ces trois constats (l’économie allemande est de loin celle qui se porte le mieux, sa balance commerciale est largement excédentaire grâce à ses exportations vers l’espace européen, elle sous-traite massivement vers les pays limitrophes à faible coût de main d’oeuvre captant ainsi l’essentiel de la valeur ajoutée) se pose la question suivante : est-ce l’Allemagne qui a le bon modèle, ou est-ce le modèle européen qui lui profite d’abord ? En fait, les deux réponses sont vraies.
Il est en effet difficile de contester la performance du modèle allemand. Pour le Centre des Jeunes Dirigeants (CJD), celle-ci repose sur deux forces essentielles. Ironie de l’histoire, elles lui ont été imposées après la Seconde Guerre Mondiale par les vainqueurs qui croyaient ainsi l’affaiblir définitivement. Sa première force, c’est son système décentralisé. Sans Etat central fort, sans armée, la puissance politique ne pouvait s’envisager en 1945. Aujourd’hui, cette liberté laissée aux länder, aux villes, et donc aux citoyens est une source inépuisable de créativité et d’innovation. C’est d’ailleurs dans ce but que le CJD organise les premiers Etats Généraux de l’Innovation pour permettre aux collectivités territoriales de se réapproprier la liberté d’innover, et pour qu’éclosent des micro dispositifs de soutien à l’innovation.
La seconde force est le dialogue social. En laissant la parole aux salariés, les conflits sociaux devaient ralentir l’économie, et paralyser l’industrie. Aujourd’hui, salariés et dirigeants d’entreprises se parlent en égaux, partis politiques de couleurs différentes communiquent, et gouvernent ensemble ! La capacité d’adaptation aux changements est formidable : leader dans les énergies renouvelables quand une crise écologique s’annonce, deuxième exportatrice dans une économie mondialisée. Depuis sa création, le CJD appelle de toutes ses forces à un dialogue efficient entre toutes les parties prenantes de l’entreprise : salariés, mais aussi clients, fournisseurs, actionnaires… et cela dure depuis 73 ans. Le modèle allemand peut donc être source d’inspiration, cela ne pose aucun doute !
Mais cela ne doit pas occulter que l’Allemagne profite largement de l’Union Européenne et de ses partenaires. Nous n’appelons évidemment pas l’Allemagne à plus de clémence, ce n’est pas à elle que nous nous adressons, mais aux Etats du Sud de l’Europe, France en tête, pour qu’ils organisent une réponse forte à ces anomalies. Ils doivent dire non quand l’Allemagne impose sa préférence nationale et que la commission européenne s’incline. Qu’est-ce qui justifie l’augmentation de la taille réglementaire de certains véhicules « de secours » qui exclue les marques françaises au profit des marques allemandes ? Ou encore la mise en place d’une seule et unique méthode « IMPROVE », propriété de A.T. Kearney cabinet de consulting allemand, pour que les entreprises européennes continuent à bénéficier des aides à l’innovation ? Les pays du sud tant décriés doivent dire « OUI ! » à une nouvelle forme d’union méditerranéenne quand l’allemagne s’y oppose et limite nos capacité de croissance. Enfin, pourquoi un Euro si fort quand les autres pays de la zone Euro n’ont pas de balance commerciale qui le nécessite ?
L’Allemagne a gagné sa compétitivité en 2002, lorsqu’elle a décidé de largement diminuer le coût du travail en transférant les charges patronales sur la TVA, c’est-à-dire l’impôt de la population. En agissant ainsi, elle a diminué d’au moins 10% le coût du travail en comparaison des autres pays européens équivalents, ce qui lui a permis de grignoter petit à petit leur part de marché. Cela a fonctionné car aucun Etat européen n’a suivi la même politique. La France a même choisi la direction inverse en réduisant le temps de travail et donc augmentant le coût horaire d’une unité de travail. Aujourd’hui, elle doit regagner sa compétitivité en réduisant ce coût du travail comme l’explique le CJD dans son Livre Blanc de propositions pour la présidentielles, Objectif Oïkos.
Ensuite, elle doit veiller à la construction d’une Union Européenne forte et juste, qui empêche certains Etats de profiter des autres. La solidarité doit être au coeur du projet européen, tout comme la diversité ! La stratégie décidée par la Commission Européenne pour combattre et défendre les entreprises dans une économie mondialisée est celle de l’uniformisation… autre méthode vieille comme le monde. Changeons de paradigme et acceptons que la force de l’Europe, c’est sa diversité. Acceptons les différences entre Lille et Marseille, et le fossé entre Hambourg et Athènes ! Valorisons toutes les cultures et enrichissons les des modèles construit patiemment, pierre par pierre, par les uns et les autres. Adoptons les bons cadres normatifs, ceux d’une économie au service de la vie, d’une Europe solidaire mais laissons la place à la créativité et à la différence.
Le CJD attend des dirigeants de notre pays qu’ils produisent des propositions pour encourager et protéger la créativité française. Par exemple, en créant une véritable Agence d’Influence, de Prospective et de Protection, fusion de L’AFNOR et l’INPI. Il n’existe pas actuellement suffisamment de lien entre la propriété intellectuelle française et sa traduction en normes européennes.
Tribune de Arnaud Groff – Délégué national du CJD à la création de valeur par l’innovation et Antoine Pivot – Membre de l’équipe nationale du CJD en charge de l’axe économique.