LE MATIN DZ
La venue du Medef à Alger dynamisera-t-elle la coopération algéro-française ?
Les patrons français sont attendus à Alger lundi. Qu’apportent-ils dans leur attachés-case ? Que vont-ils proposer aux Algériens ? Les attentes sont grandissimes à Alger. Mais à Paris aussi.
Une délégation de chefs d’entreprise français composée d’une soixantaine de dirigeants de grandes entreprises et de PME françaises activant dans de très nombreux secteurs (Banques, assurances, finance, conseil et formation, énergie, transport terrestre, maritime et aérien, nouvelles technologies, ingénierie, eau et environnement, BTP et infrastructures, industrie) conduite par Jean-Marie Dauger, président du Conseil de chefs d’entreprise France-Algérie du Medef International et Directeur Général Adjoint de GDF Suez effectuera le 12 décembre prochain une visite de deux jours à Alger.
Coopération Europe/Maghreb
On ne peut dissocier la France de l’Europe, comme je ne peux dissocier l’Algérie du Maghreb. La coopération euromaghrébine, par une prospérité partagée en matière d’investissements grâce à un partenariat gagnant/gagnant, doit être orientée à l’avenir vers l’Afrique et ce, afin d’éviter que des milliers de Maghrébins et d’Africains émigrent vers l’Europe. Je tiens à souligner qu’il faille avoir, en ce XXIème siècle, une autre conception des relations internationales car il n’y a pas que les flux commerciaux, mais également les flux culturels à travers les flux de voyageurs entre l’Europe et le Maghreb. L’émigration qui est une chance pour l’Europe vieillissante, est le ciment de l’interculturalité et les liens humains entre le Maghreb et l’Union européenne sont forts pour des raisons historiques dont la colonisation. Rappelons que 2.3 millions de Maghrébins sont installés en France. Le dialogue des cultures entre l’Orient et l’Occident permet de dépasser des préjugés racistes et xénophobes. Et concernant notre problématique, la culture souvent négligée par les financiers et les économistes est le support des échanges dans toute leur diversité.
Si l’on s’en tient aux échanges commerciaux, tout en soulignant que l’appréciation de l’euro au cours des dernières années par rapport au dollar américain et aux devises asiatiques a affecté la compétitivité des exportations européennes en direction du Maghreb où à travers cet euro fort il existe souvent un déficit commercial au dépend des pays du Maghreb, les échanges commerciaux (exportations plus importations) avec l’Europe représentent aux alentours des deux tiers du total pour le Maroc (63%), l’Algérie (64%) et la Tunisie (72%). Plus précisément, selon un rapport de l’OCDE moyenne 2009, l’Union européenne représente 75% des exportations de la Tunisie, 90% des rapatriements des émigrés, 83% des revenus touristiques et 73% des investissements directs étrangers. Pour le Maroc, 60% des exportations sont vendues sur les marchés de l’UE. De même, 80% des revenus du tourisme et 90% des rapatriements des émigrés proviennent de l’UE. Pour l’Algérie une grande partie de ses importations proviennent de l’Europe, 55/60% et également pour ses exportations de gaz à travers Medgaz (via Espagne) et Transmed via Italie, le projet Galsi via par la Sardaigne qui devait également approvisionner la Corse, étant toujours en gestation.
L’analyse détaillée de ces relations commerciales laisse apparaître certaines différences quant à l’importance relative des différents partenaires européens, mais les trois principaux restent cependant l’Espagne, la France et l’Italie. Ce panorama général assez homogène cache des réalités bien différentes selon les pays étudiés. Par l’analyse de la composition du commerce extérieur de chaque pays, le Maroc apparaît principalement comme un exportateur de produits manufacturés, le textile/cuir, les produits de l’industrie électrique et mécanique ainsi que de produits agricoles. Les minéraux et la chimie représentent également une part significative, bien que mineure, des exportations, notamment grâce à l’industrie des phosphates, principale richesse minière du pays. Le cas de la Tunisie est similaire à celui du Maroc, bien que la spécialisation dans la production manufacturière soit encore plus marquée. La situation est radicalement différente pour l’Algérie dont les exportations dépendent quasi-exclusivement du secteur des hydrocarbures. En ce qui concerne les importations de produits de l’UE se détache très nettement, pour tous les pays, la part du matériel électrique et mécanique, principalement des biens d’équipement (équipement de transport, centrales électriques). Ainsi, pour le cas du Maroc et de la Tunisie, nous avons des biens industriels intermédiaires, lesquels sont ensuite transformés sur place pour être réexportés. Dans le cas de l’Algérie en plus des équipements, nous avons en particulier les produits de la métallurgie, principalement de l’acier, les produits agro-alimentaires, la chimie, des produits pharmaceutiques et des plastiques.
Au cours des dernières années, les pays du Maghreb ont perdu des parts de marché face à leurs concurrents, ce qui est la marque d’un manque de compétitivité, en particulier face à des pays comme la Chine, censés être pénalisés par leur éloignement géographique. Aussi, selon le rapport du FMI de 2009, la non-intégration des pays du Maghreb (moins de 3% des échanges intra magrébins) qui couvre une superficie d’environ cinq millions de km qui approche les 90 millions d’habitants leur fait perdre 2 à 3 points de leur taux de croissance sans compter les effets indirects du non-attrait de l’investissement étranger intéressé par un marché plus large.
Ainsi le Maghreb du fait de la non-intégration a un poids insignifiant au sein tant de la région méditerranéenne qu’au sein de l’économie mondiale. Le produit intérieur brut de l’ensemble des pays du Maghreb a été évalué en 2010 par le FMI à 387,712 milliards de dollars US. Ce PIB global est artificiellement gonflé par la Libye et l’Algérie du fait du poids des hydrocarbures. Ainsi le PIB maghrébin est légèrement supérieur à celui de la Grèce (305 milliards de dollars) alors que cette dernière a une population qui ne dépasse pas 12 millions d’habitants en 2010. Comparé à la population et au PIB allemand (3306 milliards de dollars pour 82 millions d’habitants) et français (2555 milliards de dollars pour 65 millions d’habitants), on mesure l’important écart. Le PIB maghrébin doit, à l’horizon 2020, quadrupler (1550 milliards de dollars à prix constants 2010) au minimum si l’on veut éviter des tensions sociales de plus en plus vives au niveau de l’espace Maghreb. Il s‘agira de relancer le projet de la banque d’investissement maghrébine avalisé en 2010 par l’UMA, d’unifier les tarifs douaniers, de prévoir la création d’une grande université euro-maghrébine, d’une banque centrale et bourse maghrébine, support d’une monnaie maghrébine, ces structures devant s’insérer à l’horizon 2020 dans le cadre d’une banque centrale et bourse euro-méditerranéenne mais devant résoudre au préalable l’uniformisation des taux de change. Il faut le reconnaître, la signature de conventions commerciales ou d’accords de libre-échange avec l’Europe par la Tunisie, le Maroc et l’Algérie n’a pas suffi à impulser un véritable codéveloppement entre les deux rives de la Méditerranée. Donc est posé le bilan mitigé des accords de Barcelone et de l’UPM (Union pour la Méditerranée) qu’il ya impérativement de dynamiser à travers des projets concrets.
Bilan de la coopération algéro-française
Sur le plan institutionnel, la coopération économique algéro-française s’appuie sur deux accords : le premier le mémorandum de partenariat économique et financier signé à Alger le 11 décembre 2006. Cet accord a pour objectif d’accompagner le processus de réformes économiques et financières engagées en Algérie à travers des actions d’assistance technique et de formation au bénéfice de cadres issus des administrations économiques et financières algérienne et la promotion des échanges, des investissements et le développement des filières industrielles (automobile, agroalimentaire et pharmacie). Le deuxième accord, le mémorandum algéro-français de coopération financière signé à Alger le 21 juin 2008, à l’occasion de la visite en Algérie du Premier ministre français François Fillon. Cet accord vise à renforcer la coopération institutionnelle et la modernisation des administrations économiques et financières à travers un appui aux administrations fiscale et douanière, à la reforme budgétaire, à l’inspection générale des finances, à la Direction générale de la comptabilité, au cadastre, au Commissariat général à la planification et à la prospective et à l’Office national des statistiques. Cet accord a également prévu l’assistance de la partie française à la création en Algérie de deux écoles nationales, des douanes et du Trésor ainsi que l’appui à la mise en place d’une école dans les métiers des assurances.
Concernant le volume total des échanges commerciaux entre l’Algérie et la France, son premier fournisseur, il a atteint en 2009 quelque 10 milliards d’euros. Les 450 entreprises françaises présentes en Algérie représentant 1341 opérateurs économiques avec un stock d’investissement d’un peu plus de 2 milliards d’euros ; elles emploient plus de 35 000 personnes et 180 PME françaises. Elles sont intéressées à investir en Algérie selon des sources françaises. Lors de sa seconde visite en Algérie, le 21 février, Jean Pierre Raffarin, ancien premier ministre français, avait indiqué outre les négociations sur Renault ont été abordés ceux de Total et Lafarge, qui étaient à « mi-chemin » d’accords. Dans ce cadre, dans une déclaration en date du 10 novembre 2011, le ministre algérien chargé de la Promotion de l’investissement a précisé que l’usine de Renault pourrait installer son usine dans la zone de Bellara à Jijel. Cette usine devrait fabriquer 75.000 véhicules dans une première étape avec un taux d’intégration de 20/25% pour atteindre 150.000 avec un taux d’intégration de 60%(pneumatiques et vitrage) dans une seconde étape. Son management stratégique pourrait revenir à Renault détournant l’obstacle des 41/59%. Pour les autres projets de partenariat avec la France, toujours selon cette récente déclaration, il est prévu la construction d’une cimenterie d’une capacité de 2 millions de tonnes à l’Est de l’Algérie précisément à Oum El Bouaghi dont le coût est de 360 millions d’euros en partenariat avec le groupe Lafarge.
La France demeure le 1er fournisseur de l’Algérie avec plus de 6 milliards de dollars d’exportation et son 4e client pour montant fluctuant entre 3/4,5 milliards de dollars entre 2005/2010, selon les chiffres des douanes algériennes pour l’année qui note un déséquilibre commercial en défaveur de l’Algérie de 2,5 milliards de dollars pour 2010. Cependant, il est à noter que les relations économiques et commerciales ont progressé de manière très rapide ayant plus que triplé en douze ans. L’Algérie est le premier partenaire commercial de la France en Afrique (Maghreb, Egypte comprise, et Afrique sub-saharienne). Si l’on étend les comparaisons au reste du monde, l’Algérie est le troisième marché pour les exportations françaises hors pays de l’OCDE, après la Chine et la Russie. La moitié des exportations sont réalisées par des PME. Sur le plan de la coopération culturelle, scientifique et technique franco-algérienne, la coopération s’inscrit dans le cadre de la Convention de partenariat signée en décembre 2007 et du document cadre de partenariat (DCP) qui définissent trois grands axes de coopération : le renforcement du capital humain ; le développement économique et durable et le secteur productif ; la bonne gouvernance, l’Etat de droit, la modernisation du secteur public et le renforcement de la coopération décentralisée.
Malgré cela, il faut reconnaître que les relations économiques entre l’Algérie et la France, malgré des discours de bonnes intentions, sont loin des attentes et des potentialités entre les deux pays et elles sont énormes. Il y a effectivement des aspects politiques qui freinent ces échanges, le devoir de mémoire. Il appartient aux historiens algériens et français d’en faire l’écriture objective et je salue les importants travaux d’un Algérien Mohamed Harbi, et un Français Benjamin Stora. S’il faille ne pas occulter le passé, il faut maintenant se tourner vers l’avenir. Il faut être conscient que les nouvelles relations internationales ne se fondent plus essentiellement sur des relations personnalisées entre chefs d’Etat mais sur des réseaux et organisations décentralisés à travers l’implication des entreprises et de la société civile qui peuvent favoriser la coopération, le dialogue des cultures, l’émigration ciment de l’interculturalité pouvant être un vecteur dynamisant. Les échanges commerciaux entre l’Algérie et la France demeurent figés dans leurs structures. Malgré une bonne évolution, ces échanges sont dérisoires comparés aux exportations et importations des deux pays. La France dans bon nombre d’affaires en Algérie est devancée par l’Italie et la Chine qui prennent des parts de marché de plus en plus importants. La France reste le premier fournisseur de l’Algérie en 2010, mais sa part de marché est en nette baisse, les parts de marché étant passées avec 15,7% en 2010 contre 30% il y a 20 ans. La délégation du Medef permettra-t-elle d’intensifier et de diversifier la coopération en n’oubliant jamais que dans la pratique des affaires n’existent pas de sentiments ?
Abderrahmane Mebtoul
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patrick le berrigaud