Mr Dr Mourad Preure. Expert pétrolier international, président du cabinet Emergy «L’Europe gagnerait à se tourner davantage vers la source algérienne

Mr Dr Mourad Preure. Expert pétrolier international, président du cabinet Emergy «L’Europe gagnerait à se tourner davantage vers la source algérienne

Publié le 29 novembre 2011

Mr Dr Mourad Preure. Expert pétrolier international, président du cabinet Emergy «L’Europe gagnerait à se tourner davantage vers la source algérienne
Dr Mourad Preure. Expert pétrolier international, président du cabinet Emergy
«L’Europe gagnerait à se tourner davantage vers la source algérienne»
-En quoi la mise en marche du gazoduc Northstream constitue-t-elle un fait majeur pour le marché européen du gaz ?
Le gazoduc Northstream reliant les gisements russes à l’Allemagne en passant par la mer baltique représente une capacité de 55 Gm3 (milliards de mètres cubes) sur un marché de près de 456 Gm3. Il permet à la Russie d’accéder aux marchés européens par voir direct en évitant les pays de transit. La Russie couvre 23% de la demande européenne, la Norvège 19%, l’Algérie 10% et le dernier venu aux dents longues, le Qatar 6%. L’intérêt de ce gazoduc est surtout la liberté qu’il apporte à la Russie et la sécurité d’approvisionnement qu’il permet à une Allemagne s’apprêtant à quitter le nucléaire en 2022.
Il est clair que ce gazoduc transporte quasiment l’équivalent des exportations algériennes et doit donc être pris au sérieux, car le réseau gazier européen est fortement interconnecté. Mais il me semble adresser ses volumes surtout vers l’Europe du Nord, marché qui nous échappe aujourd’hui. D’autre part, il faut tenir compte du fait que l’Europe dont la dépendance gazière dépasse les 50% aujourd’hui dépendra à 80% de sources extra-communautaires à l’horizon 2030. Je ne suis pas sûr qu’elle fasse le bon choix en privilégiant les sources russe et qatarie.
Les ambitions gazières russes ne sont jamais loin d’ambitions de puissance, quant à la source qatarie, elle est volatile par essence, car il s’agit de GNL et que ce GNL se déplacera demain vers d’autres marchés s’il y trouve son compte, or l’effet Fukushima à lui seul génèrera 100 milliards de mètres cubes de demande, sans compter les besoins indiens, et ceux abyssaux d’une Chine qui devra réduire sa consommation de charbon qui représente 70% de la consommation énergétique. L’Europe gagnerait à se tourner davantage vers la source algérienne en y soutenant activement le développement gazier.
-La position de l’Algérie en tant que fournisseur du marché européen peut elle être affectée même si le gazoduc ne s’adresse pas à l’Europe de sud?
Nos débouchés seront davantage affectés par le futur gazoduc russe, le Southstream qui reliera les gisements russes à l’Italie via la Bulgarie et la Grèce et dont la capacité sera de 63 Gm3 soit au-delà des exportations algériennes.
Il est clair que la Russie veut consolider ses positions sur le marché européen, et convoite ouvertement le marché européen du sud. Un autre acteur que je juge dangereux est en train de prendre pied dans le marché européen du sud, c’est le Qatar qui très rapidement est arrivé à talonner l’Algérie. Le Qatar s’est doté, en s’endettant vivement, des premières capacités mondiales de liquéfaction de gaz naturel avec 77 millions de tonnes (Algérie 29.5 MTA). Il est le principal moteur du développement des marchés spot de gaz en Europe qui exercent une pression extrême sur les transactions de long terme avec clause de take or pay, rendant de plus en plus inadaptés les prix indexés sur le pétrole.
L’essentiel de nos exportations se fait sur cette base. Il s’agit ici de notre marché naturel, et nous devons le protéger par des stratégies audacieuses d’intégration croisée engageant nos partenaires européens à investir à nos côtés dans l’amont et le transport et accédant nous-mêmes au client final pour lui fournir mètres cubes de gaz et kilowattheures d’électricité. A ce titre, nous ne subirons pas les volumes concurrents, mais les accueillerons et en tirerons bénéficie aux côtés de nos partenaires européens. Il faut pour cela que les pays européens du Sud, dont nous permettons aux compagnies (comme GDF Suez) d’accéder à nos gisements, n’opposent pas des contraintes de souveraineté et ouvrent l’aval gazier et la génération électrique à Sonatrach et Sonelgaz.
-Sonatrach est empêtrée depuis deux ans dans des problèmes de corruption et de direction, ne risque-t-elle pas d’être en décalage avec les mutations qui sont en train de se produire?Je crois que l’on insiste trop sur les malheureuses turbulences traversées par Sonatrach. Mais pensez-vous que l’industrie pétrolière soit une industrie d’enfants de chœur ?
Savez-vous que les plus éminentes compagnies ont connu des crises bien plus graves que celle traversée par Sonatrach ? Elles n’en sont pas mortes pour autant, et souvent ces crises ont été vite banalisées par une presse que l’on a convaincue par un travail de communication professionnel et rigoureux quant aux enjeux que représentent ces compagnies.
Or, l’image de Sonatrach est aujourd’hui brouillée et a besoin d’être reconstruite. L’écrasante majorité des cadres et des travailleurs de Sonatrach est honnête et patriote et ce que vivent ces femmes et ces hommes est injuste. Injuste et dangereux, car cette image que l’on veut coller à Sonatrach inhibe toute initiative et affecte gravement les processus décisionnels.
Il faut absolument tourner la page et respecter aussi la présomption d’innocence de toutes ces personnes qui sont devant les tribunaux et qui voient leurs noms étalés sur les unes des journaux.
Des familles, des enfants en souffrent, il faut le savoir. Je connais bien cette entreprise dont je suis issu et à laquelle je dois tout.
Elle est saine, même si des aventuriers ont pu en prendre les commandes un jour. Sonatrach est en train de retrouver ses marques, il faut l’y aider.
Safia Berkouk Elwatan

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