Pour réussir son introduction en bourse, monter un dossier solide nécessite une préparation longue et impliquant tous les acteurs de l’entreprise. Pour Amaury Vanoye, associé membre affilié Walter Allinial, au-delà du succès de l’opération d’introduction en elle-même, cette démarche constitue un formidable levier de performance.
Le marché boursier n’est pas réservé aux grandes entreprises. Les PME et les ETI peuvent, à un moment donné de leur croissance, se poser la question d’ouvrir une partie de leur capital à des investisseurs extérieurs et étudier l’opportunité d’une introduction en bourse. C’est d’ailleurs cette population d’entreprises qui est la plus représentée à la bourse de Paris avec plus de 80 % des sociétés cotées. Mais attention, cette aventure suppose une préparation minutieuse, et une bonne compréhension des marchés financiers.
> Comprendre le marché boursier
Avant de se lancer dans une introduction en bourse, il est indispensable de se familiariser avec le fonctionnement de la bourse : quels sont les principaux indices boursiers, quelles sont les tendances du marché, etc.
Trois principaux grands marchés co-existent :
– Euronext Growth (anciennement Alternext) est un marché régulé et organisé par Euronext pour faciliter l’accès à la cotation en bourse aux PME et ETI, que ce soit de leurs actions ou de leurs obligations. Il est aujourd’hui privilégié par beaucoup d’entreprises car il bénéficie de la labellisation européenne de « SME Growth Market ». Ceci lui permet de bénéficier d’une souplesse et d’une adaptation réglementaire adaptées à ces tailles d’entreprises.
Par exemple, parmi de très nombreuses adaptations, les entreprises peuvent choisir d’établir leurs comptes selon les normes comptables françaises ou selon les normes IFRS ; les comptes semestriels n’ont pas l’obligation d’être audités, etc. 38 PME et ETI anciennement cotées sur le marché réglementé ont pris le parti de se transférer sur Euronext Growth depuis 2021 afin de bénéficier du meilleur des deux mondes.
– Euronext, marché « classique », s’adresse à des capitalisations relativement importantes, et, surtout, qui nécessitent, en pré-requis, de disposer de comptes en IFRS (International Financial Reporting Standards), normes internationales d’information financière.
– le marché américain : le Nasdaq, ou encore le NYSE, peuvent être intéressants dans des circonstances très spécifiques, notamment lorsque les entreprises développent des innovations technologiques particulières ou lorsque leur chiffre d’affaires est essentiellement américain. Seulement trois opérations initiées par des entreprises françaises ont eu lieu lors des dix dernières années dont deux ont déjà quitté la cote américaine.
> Elaborer un plan d’affaire solide
Ensuite, avant de se lancer dans une démarche d’introduction en bourse, la première question à se poser est la suivante : est-ce que le modèle d’affaire que l’entreprise souhaite développer, et pour lequel elle a besoin de capitaux extérieurs, est de nature à séduire les investisseurs ? Pour cela, il s’agit de construire un « business model » extrêmement solide. Les investisseurs vont vouloir comprendre le modèle économique de l’entreprise, sa stratégie, ses objectifs de croissance, les moyens mis en place pour les atteindre, etc. Il est essentiel que ce business plan soit intégré par la gouvernance de l’entreprise qui devra être ensuite en capacité de l’argumenter et de le vendre aux potentiels investisseurs.
A savoir : les investisseurs sont particulièrement séduits par les modèles récurrents et éprouvés.
> Structurer son organisation
Un autre point tout aussi fondamental est de structurer son organisation au sein de l’entreprise pour se préparer à une éventuelle cotation. D’un point de vue financier et juridique, les obligations de commissariat aux comptes et d’audit légal embarquent de multiples incidences, notamment en termes de régularité et de fréquence de reporting de ses comptes. Cela va modifier l’organisation financière, comptable et juridique de l’entreprise, jusqu’à la RSE. En effet, en cas d’objectif d’introduction en bourse, et avec l’arrivée de la norme CSRD (corporate sustainability reporting directive), ce thème doit être anticipé pour éviter de devenir trop important en termes de masse de travail s’il n’a pas été bien pensé en amont.
Un dirigeant qui envisage d’introduire son entreprise en bourse doit être bien conscient qu’il va devoir s’y consacrer pleinement pendant plusieurs mois clés avant de se lancer dans un tel processus.
> S’entourer d’une équipe de conseils compétents et aguerris
Pour construire le business model, le challenger, monter le dossier pour l’AMF (Autorité des marchés financiers), le ou les dirigeants devront sélectionner les bons conseils et construire une équipe capable de répondre à toutes ces exigences.
Cela concerne en premier lieu les équipes internes, et notamment le directeur administratif et financier. S’il n’est pas déjà en poste, il peut être recruté en amont pour réaliser l’opération.
Ensuite, l’équipe de conseils externes devra être composée a minima d’un expert-comptable, d’un commissaire aux comptes et d’un avocat ayant eux aussi l’expérience de ce type d’opérations. A l’instar d’une levée de fonds privée, l’entreprise devra prévoir de consacrer un budget conséquent, mais indispensable, à la rémunération de ces conseils. Les frais liés à l’opération sont en grande partie liés au succès (70 % environ) et déduits de la prime d’émission.
> Evaluer son entreprise au juste prix
Une étape importante du processus est de fixer le prix de souscription de l’action. Pour cela, l’entreprise devra être évaluée à son juste prix. Or, il faut savoir qu’un dirigeant aura toujours tendance à la sur-évaluer, encore davantage s’il l’a créée.
Pour ce faire, il faudra solliciter plusieurs banques d’investissements et conseils indépendants qui aideront le dirigeant à objectiver sa « fair-value », ainsi que la structure plus précise de l’opération, notamment le pourcentage du capital mis en bourse, le cash-in (sommes investies par les actionnaires) et/ou le cash-out (les sommes perçues par ceux qui revendent leurs parts) qui sont prévus.
> Trouver le « momentum »
Il s’agit là encore d’un point d’attention particulièrement crucial : à quel moment s’introduire en bourse ? En effet, en fonction de crises nationales, ou internationales, en fonction de success stories de sociétés analogues, ou à l’inverse de bad stories, les marchés financiers pourront être positivement ou négativement influencés, en dehors de toute analyse objective du dossier.
Citons un exemple récent : lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, les marchés se sont complètement fermés.
En conséquence, si on veut introduire en bourse une « small cap », il conviendra de s’assurer que le marché, les investisseurs, n’aient pas, à ce moment-là, une aversion au risque.
En complément, il peut être intéressant de capitaliser sur un « momentum » de l’entreprise, par exemple la signature d’un contrat, ou la finalisation d’une acquisition permettant à l’entreprise de changer de dimension.
> Elaborer le dossier pour l’AMF et s’entraîner pour le road-show
Une introduction en bourse induit la production d’une documentation dense destinée à obtenir l’autorisation de l’AMF (pour les opérations de plus de 8 millions d’euros), dont l’objectif est de sécuriser au maximum les investisseurs, en vérifiant que l’entreprise leur fournit des informations pertinentes et complètes.
Ce dossier devra comporter, entre autres, les comptes sur plusieurs années, la description de l’activité de l’entreprise, son business model, les perspectives de croissance, l’identification des risques, l’explication de l’opération avec la part du capital ouvert à la souscription, le prix de l’action, les modalités de souscription, la date prévue de cotation des titres… Ce document peut représenter des centaines de pages, et nécessite par conséquent un travail intense sur une période de temps relativement courte.
Une fois le dossier bouclé et l’autorisation de l’AMF obtenue, les dirigeants pourront se lancer dans le road-show destiné à présenter le projet aux investisseurs et à les convaincre. Le succès d’une introduction en bourse repose sur la capacité des dirigeants à convaincre des « cornerstones », en clair des investisseurs leaders qui, s’ils investissent, entraîneront dans leur sillage d’autres investisseurs. C’est le rôle des sociétés conseils, des services spécialisés des banques d’affaires, de les solliciter.
> La vie d’après…
Une fois l’introduction en bourse réussie, l’entreprise et ses dirigeants vont démarrer une nouvelle vie… C’est en permanence qu’il leur faudra, entre autres :
– fiabiliser leurs processus financiers et leurs comptes ;
– communiquer leurs chiffres aux marchés de manière régulière (au moins semestriellement), et rencontrer régulièrement leurs nouveaux actionnaires ;
– en juridique, avoir les bons conseils pour faire évoluer les délégations au président afin qu’il puisse réaliser des opérations sur le capital de manière simple et efficace sans passer par le vote en assemblée générale ;
– structurer la gouvernance avec un conseil d’administration aux compétences variées et qui puisse aider la direction sur ses choix stratégiques et leur mise en œuvre opérationnelle ;
– être prêt à communiquer sur la rémunération des dirigeants.
> Des impacts vertueux en termes d’organisation
Une introduction en bourse exige beaucoup de travail, de rigueur et de structuration. En cela, elle permet de faire passer un fantastique cap de performance aux entreprises dont la démarche a été couronnée de succès.
Pour Amaury Vanoye : « Au-delà du capital et des fonds levés, une introduction en bourse donne une autre dimension à l’entreprise. Le fait de communiquer sur ses chiffres, sur ses événements structurants, lui offre une visibilité et une crédibilité sans égale auprès de ses clients, de ses fournisseurs, de ses partenaires, de ses actionnaires, et peut également lui ouvrir de nouveaux marchés ».