Si l’on vous disait que vous alliez prendre beaucoup de plaisir à lire, pendant quelques centaines de pages les tourments existentiels d’un jeune agriculteur perdu au fin fond de l’Autriche, vous seriez probablement sceptique. Et vous auriez probablement tort. Car avec son dernier roman Braconnages, publié aux éditions Gallimard, l’auteur autrichien Reinhard Kaiser-Mühlecker réussit le tour de force de faire de ce contexte, pourtant pesant, un roman inspiré.
Jakob est donc un jeune agriculteur qui exploite la ferme familiale en Haute-Autriche. Dépassant ses premières réticences, il accueille Katja, une artiste qui se découvre une passion pour son métier ; peu à peu, ils vont s’apprivoiser et fonder une famille. Mais cette union et cette apparente stabilité ne résolvent pas les sombres questions qui traversent Jakob de longue date : celle de la difficulté quotidienne de la vie rurale, celle du pesant héritage de l’histoire de son pays, celle du silence et de l’incommunicabilité. La violence enfouie en Jakob menace sans cesse de ressurgir en s’abattant sur ses terres, sur les autres, et sur lui-même.
Il est assez courageux pour un auteur d’aborder le monde rural sans tomber dans le cliché ou la couleur locale. Avec le personnage de Jakob, Reinhard Kaiser-Mühlecker, dresse le portrait d’un homme de son temps, en prise avec une réalité tourmentée. Pas de raccourcis faciles, ou de portrait tirant vers la carricature, le livre sonne vrai, les personnages font sens.
Alors oui, on est plus habitué à suivre les errements d’un jeune cadre urbain enchainant les conquêtes et n’arrivant pas à publier son premier manuscrit, que le quotidien d’un agriculteur volontairement célibataire, essayant de transformer un étang d’eau stagnante en bassin de pisciculture. Le talent de Reinhard Kaiser-Mühlecker réside dans cette capacité à restituer à ce quotidien sa vigueur, sa réalité et son universalité.