ESG, responsable ou durable : peu importe le qualificatif utilisé, les décisions d’investissement intégrant des facteurs non financiers échappant aux méthodes comptables traditionnelles suscitent un intérêt croissant à travers le monde.
De nombreux investisseurs ont affiché leur adhésion aux principes d’investissement ESG en signant des engagements tels que les Principes pour l’investissement responsable (PRI), le réseau mondial d’institutions signataires sous la conduite des Nations Unies, qui représente actuellement plus de 120 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion. La croissance accélérée des PRI et d’autres initiatives ESG a conduit de nombreux observateurs du secteur à anticiper la généralisation des investissements ESG dans un avenir relativement proche. En dépit de toutes ces avancées, l’ESG arrive à un tournant.
L’un des problèmes auxquels elle se heurte, par exemple, est ce que l’on appelle communément l’éco-blanchiment, ou greenwashing. Ce terme évocateur décrit les cas où les investisseurs institutionnels labellisent (mal) leurs produits, à l’instar d’un fonds commun de placement qui affirmerait intégrer des facteurs ESG alors que la majorité de ses investissements en sont dépourvus.
Cette question a fait l’actualité en 2022, lorsque la Securities and Exchange Commission des États-Unis a sanctionné des entreprises telles que BNY Mellon et Goldman Sachs Asset Management pour avoir publié des déclarations ESG erronées. De son côté, le régulateur allemand BaFin a mené une enquête sur le groupe DWS (anciennement Deutsche Asset Management) qui a donné lieu à une perquisition dans les locaux de la société.
C’est ainsi que l’on assiste à ce qui ressemble à un mouvement anti-ESG, notamment aux États-Unis, sous l’impulsion de législateurs conservateurs de certains États. À titre d’exemple, Blackrock a reçu une lettre concernant les régimes de retraite des États, contestant son utilisation importante des critères ESG dans le cadre de ses investissements. La critique portait sur le fait que Blackrock, le plus grand gestionnaire d’actifs au monde, avait une « obligation fiduciaire » de ne prendre en compte que les actifs financiers dans ses décisions, ce qui a conduit certaines institutions des finances publiques à annoncer le retrait de leurs fonds.
À la lumière de ce débat permanent, des questions se posent quant à la manière dont les investisseurs institutionnels mettent en œuvre les principes ESG. Des questions telles que : Les investisseurs institutionnels qui s’engagent publiquement à investir de manière responsable le font-ils réellement dans la pratique ? En outre, ces pratiques se traduisent-elles par des résultats ESG souhaitables pour les portefeuilles ? Ces questions méritent que l’on s’y intéresse, car après tout, l’objectif de l’investissement responsable – allouer des capitaux à des entreprises qui rendent le monde plus durable – n’est possible que si les investisseurs respectent ces engagements.
C’est le sujet de ma récente recherche Do Responsible Investors Invest Responsibly ? (Les investisseurs responsables investissent-ils de manière responsable ?). Avec mes collègues, j’ai étudié différents portefeuilles d’actions à travers le monde afin de comparer les investisseurs institutionnels signataires des PRI à leurs homologues non-signataires. Nous avons également examiné un ensemble de données unique sur les rapports PRI qui nous a permis de classer les signataires en trois groupes : intégration ESG complète, partielle ou nulle. Nous souhaitions savoir si les institutions signataires des PRI « joignaient le geste à la parole » en ce qui concerne l’intégration des facteurs ESG à leurs portefeuilles d’actions.
L’étude a comparé les déclarations des signataires des PRI (en termes d’intégration ESG divulguée dans leurs rapports annuels) aux scores ESG réels de leur portefeuille (qui quantifient la mesure dans laquelle les titres de leur portefeuille reflètent leurs engagements ESG). En d’autres termes, dans quelle mesure les actions incluses dans le portefeuille d’une institution signataire des PRI sont-elles durables par rapport à leurs homologues non-signataires ? Grâce à cette approche, nous avons constaté que les investisseurs responsables (institutions signataires des PRI) investissent réellement de manière plus responsable que les institutions non-signataires des PRI. Enfin, nous avons conclu qu’à l’échelle mondiale, en dehors des États-Unis, les signataires ayant intégré, même partiellement, un cadre ESG à leurs portefeuilles d’actions actifs obtiennent un meilleur score ESG que les non-signataires des PRI.
Notre étude a également mis en lumière des approches intéressantes d’incorporation ESG dans le monde entier. Par exemple, les stratégies de « filtrage » ESG (c’est-à-dire le fait de favoriser ou d’exclure des actions en fonction de critères ESG) sont plus couramment utilisées en Europe, tandis que les stratégies d’« intégration » ESG (c’est-à-dire l’inclusion de facteurs ESG dans l’analyse financière, la construction de portefeuille et la gestion des risques) sont plus populaires aux États-Unis et dans d’autres régions du monde.
UN CLIVAGE TRANSATLANTIQUE
Nos recherches ont également montré qu’en dehors des États-Unis, les sociétés d’investissement joignent généralement le geste à la parole lorsqu’il s’agit de respecter leurs engagements en matière d’investissement responsable. En revanche, aux États-Unis, nous avons observé une rupture significative : nous n’avons pas constaté d’amélioration des scores ESG des portefeuilles des signataires des PRI, y compris pour les entreprises qui déclarent une intégration ESG complète.
En effet, les sociétés d’investissement américaines signataires des PRI mais qui n’ont pas mis en œuvre les facteurs ESG ont obtenu en moyenne de moins bons résultats ESG que les sociétés d’investissement américaines non-signataires.
Je crains que cela ne soit le signe d’un greenwashing généralisé aux États-Unis et j’ai émis l’hypothèse que nos résultats pourraient être dus à une combinaison de facteurs tels que : des incitations commerciales plus importantes pour devenir signataire des PRI ; l’incertitude réglementaire quant à la compatibilité de l’investissement ESG avec les « obligations fiduciaires » qui lient les gestionnaires d’actifs ; et un marché moins mature et donc moins de pression pour la mise en œuvre des ESG aux États-Unis.
ALLER PLUS LOIN
Dans l’ensemble, nos résultats soulignent, notamment aux États-Unis, que les investisseurs particuliers ont tout intérêt à ne pas se contenter du seul label « signataire des PRI ». Cela signifie qu’il convient d’exercer une diligence raisonnable supplémentaire lors de l’évaluation d’un gestionnaire d’investissement potentiel.
Je conseille aux investisseurs d’aller au-delà des simples références ESG et d’essayer d’évaluer le degré de convergence entre les engagements de leur gestionnaire d’actifs en matière d’investissement responsable et leurs actions. Cette approche, outre son intérêt pour les investisseurs individuels, permettrait peut-être d’instaurer un débat moins politisé sur l’investissement ESG, tant aux États-Unis que dans le reste du monde.