En ces temps d’inflation, le thème du partage de la valeur revient en première ligne. Pascal Ferron et Raymond Dorge, tous deux vice-présidents de Walter France, donnent leur point de vue sur les dispositifs envisagés pour contraindre les entreprises à distribuer davantage à leurs salariés.
L’idée est vertueuse à la base : lorsqu’une entreprise gagne de l’argent, les salariés, qui ont contribué à l’enrichissement de l’entreprise, doivent recevoir leur part du gâteau. C’est dans cet esprit qu’a été mise en place, juste après 1945, la participation, obligatoire pour les entreprises de plus de 50 salariés, avec des calculs définis par la loi, donc rigides, mais bien pensés et adaptés à cette taille d’entreprises. D’ailleurs, rien n’empêche de choisir un calcul plus favorable.
On a vu fleurir récemment un projet de « dividendes salarié ». En soi, ce terme est un oxymore. En effet, rappelons que les dividendes rémunèrent le capital, donc les actionnaires et les risques qu’ils prennent en souscrivant au capital de ces sociétés, alors que les salaires rémunèrent le travail. On peut légitimement penser que cette expression – démagogique ? – a été inventée pour faire croire aux salariés qu’ils recevraient des dividendes, eux aussi, comme une réponse aux réactions scandalisées face aux « super-profits » de certains grands groupes, qui peuvent se comprendre d’une certaine façon. Mais qu’en est-il réellement de ce projet ?
Les PME n’ont pas besoin de loi pour distribuer à leurs salariés
De fait, ce projet consiste tout simplement à étendre l’obligation de la participation aux entreprises de 11 à 50 salariés. Pour Pascal Ferron : « Dans les entreprises de moins de 50 salariés, les dirigeants sont très proches de leurs salariés. S’ils veulent les garder, quand les affaires vont bien, ils savent les récompenser et les motiver. » Les dispositifs pour ce faire existent : l’intéressement, qui est facultatif et dont les modalités de mise en place ont été allégées, les heures supplémentaires défiscalisées, les primes « classiques », régulièrement distribuées en fonction du mérite, mais certes fortement taxées en charges sociales et en impôts, la prime Macron devenue récemment prime de partage de la valeur, défiscalisée et désocialisée, et enfin l’épargne salariale.
A l’heure actuelle, où trouver des salariés compétents et motivés et faire en sorte qu’ils restent dans l’entreprise est devenu dans tous les secteurs l’une des préoccupations majeures des chefs d’entreprise, il est évident que ceux-ci n’attendent pas une loi pour proposer des incitations financières à leurs employés. Mais surtout, ils n’ont pas envie de récompenser chaque personne de la même manière. Pour Raymond Dorge : « Si un salarié motivé quitte l’entreprise pour déménager ou monter un projet entrepreneurial, cela ne posera pas de problème de lui verser « son dû » en termes de participation ou d’intéressement car il le mérite ; en revanche, lorsqu’il s’agit d’un salarié peu engagé, voire dont l’entreprise a voulu se séparer, il est clair que le dirigeant trouvera totalement injuste de lui verser sa participation ou son intéressement, or il sera obligé de le faire. »
Par ailleurs, on oublie trop souvent que le partage de la valeur se fait aussi en amont de ces dispositifs : un dirigeant n’hésitera pas à augmenter la rémunération d’un salarié méritant, à lui octroyer des avantages en nature, à aménager son temps de travail ou plus récemment à adapter son organisation en télétravail quand c’est possible, etc.
De trop fortes contraintes deviennent généralement contre-productives
Une extension de l’obligation de la participation pourrait avoir des effets pervers. Outre le fait que ce système contraint à une répartition égalitaire entre les salariés, il peut devenir totalement contre-productif. Raymond Dorge cite un exemple : « Nous avons parmi nos clients une entreprise qui a « explosé » son chiffre d’affaires et son bénéfice l’année du Covid, et qui a donc versé une participation très significative. A première vue, on peut se dire que c’est normal. Sauf que cette entreprise venait de traverser plusieurs années extrêmement difficiles, et qu’elle avait très fortement besoin de reconstituer ses réserves. Une récompense aurait sûrement été versée par cette entreprise pour ses salariés mais une partie aurait pu être conservée pour assurer sa pérennité à plus long terme. »
Un autre cas de figure concerne les entreprises qui, certes, font, une année, du bénéfice, mais qui doivent impérativement investir. Avec la participation, elles ne sont plus libres de privilégier, quand le besoin s’en fait ressentir, les investissements, pourtant garants de leur compétitivité future et dont on sait très bien qu’ils ne grèveront la rentabilité que sur leur durée future d’utilisation, par nature incertaine.
Pascal Ferron alerte également sur le cas des repreneurs d’entreprise : « Lorsque vous reprenez une entreprise, vous devez financer le remboursement de la dette. Vous êtes donc condamné, si l’on peut dire, à faire beaucoup mieux que le cédant qui, lui, n’avait plus de dette d’acquisition à rembourser et vous l’a vendue à son juste prix. Les premières années, l’obligation de verser une participation va donc obérer votre capacité à rembourser l’emprunt. »
Assouplir les règles des conditions d’attribution
Pour toutes ces raisons, étendre l’obligation de la participation aux entreprises de moins de 50 salariés – même si l’idée peut, au premier abord, paraître vertueuse – pourrait avoir des effets qui iraient à l’encontre de l’esprit même de la loi.
En revanche, il est évident que la tendance à la répartition, de plus en plus systématique et sans lourdeurs fiscales ou en termes de charges sociales, d’une partie des profits de l’entreprise est plutôt une bonne chose.
Les dispositifs existants sont largement suffisants. Raymond Dorge, tout comme Pascal Ferron sont convaincus qu’il serait bien plus judicieux d’assouplir les règles relatives à la distribution plutôt que de rajouter de nouvelles contraintes. Rendre l’intéressement obligatoire, pourquoi pas, mais à condition que les dirigeants aient une plus grande liberté de répartition entre salariés de manière à ne pas être contraints à une distribution uniforme, et une plus grande liberté également au niveau des montants.
En conclusion, « laissez les entrepreneurs entreprendre », insiste Pascal Ferron « et faisons-leur confiance pour apprécier les situations et trouver le juste équilibre entre contraintes économiques de leur entreprise et partage de la valeur. »