Janvier, quel drôle de mois. Insupportable, il marque l’irénisme dont nous faisons preuve vis-à-vis de bonnes résolutions déjà oubliées. Triste, il contient un lundi désigné jour le plus déprimant de l’année selon les données scientifiques du docteur Arnall, psychologue attaché à l’université de Cardiff. Agité, car s’ajoute à cela un vaste mouvement d’opposition à un projet de réforme des retraites voulu par l’exécutif. N’en jetez plus ! Janvier, premier mois du calendrier grégorien, en l’honneur du dieu romain des portes. Des portes qui claquent et se ferment sèchement. De fait, le Gouvernement parvient à susciter l’unité syndicale contre son projet. L’événement est suffisamment rare, douze ans déjà, pour le souligner. Qui sait, janvier pourrait aussi incarner le mois de la deuxième chance ? Cette réforme est l’acte de bonne volonté d’un redoublant.
Le précédent projet porté par le trio Macron/Philippe/Delevoye d’unification des nombreux régimes de retraites dans un système universel à points avait été mal compris, fortement contesté et n’a dû son salut qu’à la faveur, le mot est osé, d’un échouage mis sur le dos d’un virus ironiquement mortel pour les retraités tandis que salvateur pour le pouvoir en place. Derrière les principes de la réforme inondant ad nauseam le moindre recoin de l’espace public et médiatique, aviez-vous distingué une petite musique stridente, seulement relayée par quelques journalistes, d’un projet de transfert des cotisations, un sacré pactole, et discrètement abandonné par le ministre du travail. Non content de susciter l’ire des partenaires sociaux, s’il avait été mené à exécution ce projet aurait pu faire trembler l’un des piliers financiers de la République : l’argent des retraites complémentaires de 44 millions de salariés français (dont 25 millions cotisent chaque année).
Rappelons que cette deuxième tentative de réforme des retraites, souvent qualifiée de mère des réformes, est dite paramétrique (ex : la modification d’un paramètre comme de l’âge légal de départ à la retraite, ou la durée de cotisation minimum). La précédente tentative, lors du premier quinquennat Macron, se voulait systémique (des modifications des règles du système instituant par exemple le calcul des droits de chacun sous la forme de points – comme c’est déjà le cas pour les retraites complémentaires). Elle vise à rééquilibrer les finances du système de retraite tout à la fois en reculant l’âge de départ en retraite et en augmentant la durée de cotisation. Chacun brandira le rapport du COR[1], dont on devrait classer la substance non pas dans la catégorie des travaux économie/social, mais en tant que productions phénoménologiques. Les analyses des experts de ce Conseil offrent à chaque lecteur la vision qu’il désire de ce dossier complexe des retraites. Le COR est à la vérité ce que la célèbre assertion de l’ancien Président du conseil Henri Queuille est à l’acte de décider. Quand ce dernier argue : « qu’il n’y a pas de problème qu’une absence de décision ne saurait régler », le premier offre des hypothèses tellement différentes que chacun y puisera l’ingrédient nécessaire à l’édification des modalités de son adhésion ou opposition à la réforme. Ce rapport aurait été pour Edmund Husserl, père de cette école philosophique, un pur chef d’œuvre de réduction phénoménologique !
L’objectif, comme de coutume, serait de garantir la pérennité du système de retraite en le rendant soutenable sur le long terme. En ce qui concerne la solvabilité des régimes, le gouvernement avançait une vision holistique de la protection sociale. Le candidat Macron s’en est ouvert durant sa campagne. Assez justement les experts admettent que la Retraite, avec un grand R, doit faire partie d’une réflexion impliquant un ensemble de paramètres comprenant la natalité, le volume global de travail, la santé, le grand âge et l’employabilité des Séniors. Or, nous savons qu’un grand nombre de ces facteurs souffrent d’une maladie mortelle sur le long terme, que la France sait miraculeusement rendre indolore : le surendettement et sa difficile soutenabilité. Fort peu téméraire pour imposer une réforme aux présents bénéficiaires des régimes spéciaux et exiger que les retraités participent, eux aussi, à l’effort national comme Terra Nova le déplore dans un récent rapport, le gouvernement ratiocinait sur son pouvoir de sourcier magicien. Il dénicherait de l’argent magique pour régler certes les problèmes de retraites, mais bien plus encore. Le gouvernement connaissait l’emplacement d’un fleuve pactole d’abondantes cotisations de retraites complémentaires des salariés du privé promises à un sort héroïque, celui de sauver les régimes de retraites du secteur public et remplir la bourse des nombreux projets impécunieux du gouvernement ; on alla jusqu’à évoquer l’utilisation des produits de la réforme pour financer le secteur de l’éducation.
Par quel tour de passe-passe s’arroger le pactole ?
Quand la bataille contre la réforme paramétrique des retraites s’accompagne dans les médias de grandes attitudes baroques, conduites à l’épée de la rhétorique entre l’exécutif d’un côté, et de l’autre les syndicats secondés de certaines forces politiques, quelques semaines auparavant se déroulait à fleuret moucheté la guérilla pour la maitrise des cotisations des retraites complémentaires, prochaine corne d’abondance d’une réforme dont la discussion va démarrer au Parlement. Chaque année, 87 milliards d’euros sont versés par les salariés et les entreprises pour servir les pensions des retraites complémentaires de 13 millions de retraités.
La saine gestion, dite paritaire parce qu’orchestrée sous l’égide de toutes les organisations patronales et salariales représentatives (huit au total), permet de produire sur les marchés financiers des excédents qui forment les réserves. Celles-ci se montent à 68 milliards. Si elles sont supérieures à ce qu’exige la loi, elle préviennent les coups durs ! Ce fut le cas durant la crise COVID. Les partenaires sociaux y ont puisé 5 milliards qui ont permis à l’Agirc-Arrco de financer sans interruption la formation de droits à la retraite des travailleurs contraints au chômage partiel. Habilement, le ministre du Budget traita le sujet en deux temps. Premier temps, cette manne fut détournée de son cours par un simple amendement dans le cadre du PLFSS (Projet de loi de financement de la sécurité sociale).
A horizon 2024, la destination habituelle des cotisations vers l’Agirc-Arrco auraient été orientée vers l’Urssaf. Ainsi, l’État aurait pu décider, dès 2024, de la nature du réemploi de ces sommes qui constituent, excusons du peu, le paiement des efforts d’une vie de nos retraités. Pour certains retraités la complémentaire représente plus de 60 % du total de leur pension. Quand les partenaires sociaux décident de revaloriser les pensions comme ils viennent de le faire (+5,12%) l’Etat aurait pu choisir de combler davantage le trou abyssal de certaines caisses du public et/ou amorcer d’autres investissements décidés par l’Etat. « Hic jacet lepus[2] ». Les seuls desideratas de l’État sont de bien maigres justifications et aucune gouvernance n’a jamais interrogé les principaux intéressés. De funeste mémoire, personne n’a le souvenir que les 25 millions de cotisants du secteur privé de la plus importante caisse de retraite complémentaires avaient autorisés une modification en ce sens de son objet social.
Longtemps après les faits, on découvrit les détails qui empêchèrent la crise des missiles de Cuba de transformer le Monde en enfer nucléaire, voici dévoilé les détails de ce projet avorté, quant à lui à bas bruit, grâce à la mobilisation sans faille des partenaires sociaux et de nombreux parlementaires de tous bords politiques. Il est rare de voir ralliés au même panache les organisations patronales et syndicales, sénateurs et députés de tous bords bataillant côte à côte pour empêcher, ainsi que le titrèrent quelques médias, l’Etat de mettre la main sur le magot de l’actuel produit des retraites des Français. La politique peut s’enorgueillir d’un acte de résistance à la hauteur de l’enjeu. Rendons lui grâce nous savons fustiger ses attitudes au moindre soupçon de ses supposées turpitudes. Ainsi grâce aux élus, politiques et syndicalistes, le hold-up du siècle s’est empégué à la simple prononciation des mots par le ministre du travail lors de la conférence de presse de la première ministre annonçant les détails de la réforme des retraites : « Nous avons décidé de ne pas poursuivre le chantier d’unification du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco ».
Après ce rude combat, dormons sur nos deux oreilles. L’argent des retraites d’une société qui travaille, qui compte sur la force de sa natalité pour soutenir son modèle à la fois solidaire et contributif, restera sereinement dans le lit de ce long fleuve tranquille empruntant un circuit court allant du producteur – le travailleur salarié du privé – vers le consommateur – le retraité.
Comme le dit Renan sur la Nation, nous pouvons l’appliquer au sujet des Retraites : « Elle s’appuie sur deux choses, l’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs, l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté qu’on a de faire vivre l’héritage qu’on a reçu indivis ». Selon les calculs des actuaires, salariés et entreprises cotisants actuels contribueront, sur les quinze prochaines années, au ruissellement de 3 200 milliards d’euros vers les circuits de financement de nos entreprises françaises, au service du paiement des retraites complémentaires pour les générations futures.
Par Jacky Isabello, Entrepreneur, administrateur de Synopia
1 Conseil d’Orientation des Retraites
2 C’est ici que gît le lièvre.