Alors que l’Histoire immédiate s’écrit chaque jour en Ukraine, difficile de trouver le temps de la prise de recul. Le temps court, fait de batailles, de destructions et de libérations emporte tout. Prime à l’instant. On suit les épisodes, regarde les détails, sans réellement comprendre l’ensemble du décors. Et pourtant, cette guerre d’Ukraine n’a pas surgit ex nihilo, comme ça, sur un coup de tête. De même, l’effondrement incontrôlé et quasi instantané de l’Union soviétique  répondait lui aussi d’un processus bien plus ancien, d’un délitement caché.

C’est cette histoire que nous raconte Anne de Tinguy. La Russie, dans le fond, nous reste toujours inconnue. Territoire trop grand, histoire trop complexe, tant est si bien que l’on se contente de raccourci, d’idée préfabriquée. Face à cette tentation de la simplification extrême, Anne de Tinguy remet du sens, de la complexité. La Russie est une sorte d’oxymore permanent, de Gorbatchev à Poutine en passant par Eltsine, ses dirigeants se sont toujours heurtés à cette singularité.

Géant politique mais petite puissance économique, technologie spatiale de pointe mais capacité d’innovation faible, courant progressiste et dérive autoritaire… la liste des paradoxes est, à l’image du territoire russe, sans fin. Et l’auteur de souligner que « cette guerre dévastatrice, illustre l’obsession de puissance du géant russe et aggrave le paradoxe dans lequel celui-ci s’est enfermé. Acteur international de premier plan doté de multiples atouts, il se contente d’être un colosse aux pieds d’argile qui privilégie son pouvoir de nuisance.  »

Si le texte a été écrit en avril 2022, les questions qu’il soulève se posent toujours aujourd’hui. Prendre le temps d’essayer d’y répondre, c’est assurément faire un grand pas vers la résolution d’un conflit que l’on pensait naïvement d’un autre temps.