[Tribune du professeur Jim Detert, Darden School of Business] Imaginez que vous ayez sous votre responsabilité deux employés qui occupent des postes similaires, l’un dont vous appréciez la personnalité et l’autre qui vous agace. Ils font la même erreur, petite mais significative. Quelques mois plus tard, vous ne mentionnez pas l’erreur dans l’évaluation des performances de la première employée, car elle ne ressort pas lorsque vous repensez à son travail. A contrario, vous vous y attardez lors de l’évaluation du deuxième employé, et plus vous y réfléchissez plus elle vous paraît importante.
Autre cas de figure : vous êtes au restaurant et la serveuse renverse du vin sur votre chemise neuve. Froide et distante pendant tout le repas, vous supposez qu’elle n’est pas vraiment désolée de l’incident. Cependant, quelques heures plus tôt, un employé du magasin a oublié d’ajouter à votre sac l’un de vos articles, vous obligeant à y retourner pour le récupérer. Cet employé s’était montré particulièrement aimable pendant votre séance de shopping. Vous lui accordez donc le bénéfice du doute.
Bien que chacune de ces erreurs soit de même ordre, vos suppositions concernant chaque personne influencent votre façon d’envisager un incident. C’est la nature humaine : nous faisons des milliers de suppositions chaque jour. Toutefois, connaître l’impact de ces suppositions sur notre pensée est essentiel pour comprendre notre processus de prise de décision et réduire les préjugés sur le lieu de travail et ailleurs. Ce sujet fait l’objet d’un article récent dont je suis le coauteur.
Culpabilité et intention présumée
Prenons l’exemple de Bill, employé d’une grande société financière vendant des produits d’investissement, qui est au téléphone avec des clients pour leur expliquer les avantages d’un investissement. Il reçoit un autre appel et met fin à son premier appel sans informer ses clients des risques de leur investissement. Au lieu de cela, Bill leur dit simplement qu’il leur enverra les documents à signer.
Dans les études précédentes que j’ai menées avec mes collègues, on a dit à un groupe de participants que Bill est un employé difficile qui prend régulièrement des appels personnels au bureau et prend des risques avec ses clients. On a dit à autre groupe que Bill est généralement un employé consciencieux, mais que sa fille a été hospitalisée et qu’il a répondu en s’attendant à recevoir un appel de l’hôpital. Il a ensuite regretté de ne pas avoir expliqué les risques à ses clients.
Les deux groupes ont attribué à Bill des niveaux de culpabilité sensiblement différents en fonction de ce qu’ils déduisaient de ses intentions, même si son comportement était le même dans les deux scénarios.
Le simple fait de recevoir des informations qui amènent les participants à penser que Bill est une bonne ou une mauvaise personne crée une différence majeure dans la façon dont il est jugé pour une action rigoureusement identique.
Effets d’entraînement et biais inconscients
Notre étude a également révélé l’existence d’un « effet d’entraînement ». Quelques minutes après la question initiale, les répondants ont été invités à évaluer le risque pour le portefeuille du client. Ceux qui ont reçu des informations négatives sur Bill ont évalué le risque plus fortement que ceux ayant reçu des informations positives, exagérant encore l’ampleur de l’erreur de Bill.
Ces effets d’entraînement ont tendance à s’amplifier avec le temps, ce qui peut entraîner d’importantes conséquences involontaires au sein d’une entreprise. Par exemple, au moment de l’évaluation annuelle des performances, des biais d’attribution, même mineurs, peuvent avoir des effets importants sur la façon dont nous nous remémorons les réalisations des autres, et donc sur leur évaluation.
Parfois, bien sûr, nos suppositions sont fondées : peut-être que Bill est vraiment un employé négligent. D’autres fois, cependant, nos suppositions sont erronées, ou frappées d’intuitions ou de préjugés inconscients. Ces derniers sont particulièrement insidieux lorsqu’ils portent sur l’appartenance d’une personne à un groupe, par exemple lorsque cette personne est d’une couleur de peau, d’un sexe, d’une origine ethnique, d’une classe socio-économique différente de la nôtre.
Quatre stratégies pour encourager l’objectivité
Comment les chefs d’entreprise peuvent-ils rester objectifs sur leur lieu de travail ? Voici quatre stratégies clés :
- Concentrez-vous sur les comportements : Les responsables doivent se concentrer sur les comportements, les actions et les conséquences objectives qui en découlent. Cela ne signifie pas que nous devions toujours examiner les exemples de comportement de manière isolée, mais que nous devons essayer de dissocier les comportements de nos suppositions sur les intentions d’une personne.
- Envisagez plusieurs possibilités : Les responsables doivent régulièrement remettre en question leurs propres suppositions et envisager différents points de vue. Y a-t-il d’autres raisons qui expliquent le comportement d’un employé ? Êtes-vous passé(e) à côté de quelque chose lors de votre évaluation initiale de la situation ?
- Réduisez les possibilités de partialité grâce aux systèmes : nous invitons les responsables à utiliser des systèmes d’évaluation fondés sur des mesures objectives, des modèles basés sur le comportement et des évaluateurs multiples et diversifiés pour réduire la partialité. Un système de sanctions ou de conséquences standardisées peut également être utile pour prendre des décisions cohérentes et équitables.
- Constituez une « équipe de rivaux » : Le président Abraham Lincoln était célèbre pour son gouvernement diversifié, qualifié par l’historienne Doris Kearns Goodwin d’équipe de rivaux, et qui lui présentait des points de vue différents et souvent opposés. L’inclusion d’une diversité de points de vue dans une équipe de décision ou de direction permet de mettre à l’épreuve les suppositions de chacun. Cela permet également de réduire les erreurs et de créer un environnement propice à un dialogue respectueux.
Inférences omniprésentes et correction cruciale
Faire des suppositions est inhérent à notre vie d’humains vivant en collectivité. Cependant, il est essentiel de comprendre, voire de corriger, ces suppositions.
Les employés doivent voir leurs responsables comme des arbitres justes qui distribuent équitablement les récompenses et les sanctions, et la simple perception d’une équité peut contribuer à créer un environnement de travail plus positif et plus sain.
Pour se sentir bien dans leur peau, la plupart des gens ont besoin de sentir qu’ils sont traités équitablement et qu’ils traitent les autres équitablement. Les punitions injustes ou les vindictes inappropriées ne sont pas seulement néfastes pour les employés et les citoyens, elles nuisent également au bon fonctionnement des entreprises et de la société.
Tester les suppositions à chaque étape du processus décisionnel est un moyen de parvenir à cette équité dans un monde où les suppositions sont constantes.