Treize jours après le début du conflit entre la Russie et l’Ukraine, les marchés agricoles s’affolent. Blé, maïs, avoine, engrais… de nombreuses matières premières voient leurs prix s’envoler. De quoi inquiéter plusieurs pays dépendants des importations de ces produits. Une inquiétude partagée également par les professionnels du secteur agricole en France. Le conflit « touche les agriculteurs directement au porte-monnaie » selon Thierry Pouch, chef du service étude et prospective de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture à Paris.
Quand les 1er et 4e exportateurs mondiaux de blé se font la guerre, c’est toute la planète qui craint pour son assiette. Puisque les batailles ravagent le territoire ukrainien, la nation surnommée « le grenier à blé de l’Europe » n’est plus capable d’assurer ses livraisons. En parallèle il est également devenu compliqué de passer commande à la Russie. Sous l’effet des sanctions occidentales, le pays qui exporte le plus de blé au monde a été exclu de SWIFT. Or, sans ce système de transactions financières internationales, les banques russes demeurent paralysées.
La guerre en Ukraine : une question de blé ?
En clair, l’offre de matières premières agricoles dégringole alors que la demande reste toujours au même niveau. Ce déséquilibre cause donc une hausse importante des prix du blé. Selon Thierry Pouch, de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture, « le prix du blé atteint aujourd’hui 400 euros par tonne ». « Un phénomène dommageable mais maitrisable pour l’Europe » affirme l’expert, qui rappelle les importantes capacités de production agricole du vieux continent. Toutefois certains pays, « notamment d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, risquent d’être confrontés à des pénuries » avertit Thierry Pouch. Sont principalement concernés, l’Irak, l’Egypte, la Syrie, l’Algérie, le Maroc et le Liban. Une situation qui pourrait dégrader davantage la sécurité alimentaire mondiale.
Néanmoins le marché du blé ne subi pas seulement les conséquences du conflit en Ukraine. Il est possible qu’il en soit « aussi l’une des causes » affirme le responsable de l’Assemblée Permanente des Chambres d’Agriculture à Paris. Si jamais la Russie « fait main basse ne serait-ce que sur l’Est de l’Ukraine, alors elle contrôlerait quasiment un tiers de la production mondiale de blé » prévient Thierry Pouch. Le chercheur souligne aussi que « les russes dominent, pour le moment, les combats dans le sud de l’Ukraine ». Ils tiennent donc « une large partie du littoral et des ports autour de la Mer Noir, comme celui de Marioupol ». Cependant c’est par cet espace maritime que transite justement « plus de 30% des exportations mondiales de céréales » explique Thierry Pouch. En somme, une victoire contre l’Ukraine serait synonyme, pour la Russie, d’accroissement de sa puissance agricole.
L’agriculture française encaisse difficilement l’onde de choc du conflit
Enfin la hausse des prix des matières premières agricoles, le blé en tête, s’explique aussi par l’augmentation du coût des transports. Les tarifs avaient déjà bondi lors de la crise sanitaire, car l’addition des confinements, quarantaines et contaminations avait freiné le rythme du commerce mondial. Désormais la hausse se poursuit alors que le conflit en Europe de l’Est pousse les assurances à augmenter leurs tarifs. En effet, les armateurs craignent pour la sécurité de leurs bateaux de fret naviguant en Mer Noire. Ces derniers progressent effectivement dans une zone dangereuse. De même, la tension sur le marché de l’énergie incite les distributeurs à alourdir la facture des carburants et de l’électricité. Un phénomène qui se répercute automatiquement sur le prix du transport ferroviaire et routier.
Seulement, au bout de la chaine, ce sont les agriculteurs qui voient leurs coûts de productions augmenter. Une inquiétude largement évoquée tout au long du Salon International de l’Agriculture, qui s’est achevé le week-end dernier. « Les éleveurs de porcs ou de bovins payent plus cher la nourriture du bétail, ce qui réduit des revenus déjà assez faibles » déplore Pascal Pitois, éleveur de vaches laitières en Bretagne. Même son de cloche du coté de Sébastien Windsor, président des Chambres d’Agriculteurs du Var : « la crise russo-ukrainienne cause des pénuries en gaz, notamment sur l’azote, qui reste encore aujourd’hui la principale ressource permettant de fabriquer des engrais, nécessaires à l’agriculture ».
Une situation qui fait dire à Max Bauer, président du syndicat agricole Coordination Rurale, que l’Etat « doit investir auprès des agriculteurs pour favoriser la souveraineté alimentaire de la France ». Certains paysans, dans les allées du Salon, évoquaient par exemple la relocalisation des productions d’intrants sur le territoire français.