L’empereur de la consommation a t-il un genou à terre ? Popularisé dans les années soixante, l’hypermarché doit son succès à son offre qui regroupe tous types d’articles sous un même toit. Cependant ces enseignes souffrent désormais d’une image associée à la déshumanisation du commerce et à la surconsommation. Enfin le e-commerce et les nouvelles formes de consommation font désormais obstacle aux hypermarchés selon Philippe Moati, cofondateur de l’Observatoire Société et Consommation (OBSOCO).
L’hypermarché plie me ne rompt pas ! Si la fréquentation de ce temple de la consommation recule, elle reste malgré tout importante en France. Selon l’OBSOCO « 80% des français effectuent encore leurs achats régulièrement dans ce type de structures ». Si les hypermarchés « montrent des signes de faiblesse » depuis quelques années, le concept « reste puissant » selon Philippe Moati. La recette de cette réussite réside, d’après le cofondateur de l’OBSOCO, dans « la promesse faite aux consommateurs ». En effet, ces derniers peuvent trouver dans un hypermarché tous types d’articles sous un même toit ; à savoir, des produits alimentaires, de beauté, des vêtements, de l’électroménagers… et le tout avec une accessibilité aux voitures.
« Les hypermarchés se fondent sur un mode de consommation vieillissant »
Paradoxalement, « c’est justement le succès de l’hypermarché qui lui met aujourd’hui du plomb dans l’aile » souligne Philippe Moati. Les enseignes ont eu effectivement « largement le temps de se multiplier en plus de 60 ans d’existence ». La concurrence s’est donc intensifiée et pour rester compétitives « les hypermarchés n’ont jamais cessé de s’inspirer les uns des autres » rappelle l’économiste. Ainsi les enquêtes menées par l’OBSOCO démontrent que les consommateurs ont désormais l’impression que « tous les magasins vendent les mêmes produits ».
D’après Philippe Moati, « ce manque de singularité » de la part des hypermarchés est la principale cause de leur déclin actuel. Là où « une épicerie ou un supermarché peut jouer la carte d’une offre particulière », l’hypermarché, lui, est « contraint de rechercher un nombre important de clients pour rester rentable et amortir les coûts de ses gigantesques stocks ». Si la multiplication des offres fonctionnait bien lors des 30 glorieuses « au moment où la classe moyenne accède au pouvoir d’achat et à la consommation de masse », aujourd’hui les habitudes des clients ont bien changé.
« Adopter le commerce de précision pour survivre »
Pour Philippe Moati, le phénomène d’individualisme est « de plus en plus prégnant dans les sociétés modernes et les citoyens affichent davantage leur particularité pour s’émanciper du carcan social ». Ainsi l’économiste constate que l’hypermarché devient obsolète car il « continue de parler d’une même voix unique à une population toujours plus hétérogène ». Par conséquent, les enseignes sont de plus en plus concurrencés par les « commerces de précision ». En effet, les consommateurs s’orientent davantage vers des boutiques spécialisées pour acheter certains produits. Notamment en ce qui concerne les vêtements, l’électroménager, le jardinage, le bricolage ou les produits de beauté. Selon les études de l’OBSOCO, les marges réalisées par les hypermarchés sur ces articles sont donc fortement réduites.
D’autant que « la force de frappe des commerces de précision » se ressent aussi dans le secteur alimentaire. Concernant le casher, le halal, le bio ou le végan ; les hypermarchés ont beau remplir leurs rayons, ils peinent tout de même à attirer les consommateurs d’après Philippe Moati. Ce genre d’aliments confessionnels ou éthiques « entrainent souvent une démarche militante », qui pousse les clients à se diriger vers des magasins spéciaux. Dans ces établissements, les acheteurs vont « trouver uniquement les articles qu’ils aiment, vendus par des employés qui les comprennent, dans une ambiance qu’ils affectionnent » rappelle l’économiste.
L’individualisme croissant des consommateurs et la spécialisation des offres obligent donc les hypermarchés à « adopter la concurrence pour survivre ». Ainsi, ces enseignes réduisent leur surface pour « accueillir en leur sein des marques expertes », constate le co-fondateur de l’OBSOCO. Dorénavant, les hypermarchés louent une partie de leur surface à d’autres boutiques concurrentes. Cependant, cette « transformation des hypermarchés en galeries commerciales » ne leur rapporte que des loyers supplémentaires et pas davantage de chiffre d’affaires.
Le e-commerce : un hypermarché de précision
Enfin la dernière forme de concurrence qui met à mal les hypermarchés c’est le e-commerce. Ce dernier est « la forme la plus parfaite de commerce de précision » selon Philippe Moati. Aujourd’hui avec « les algorithmes et l’enregistrement des données personnelles », les firmes de e-commerce « proposent l’article que recherche précisément le consommateur ». De plus, les sociétés de e-commerce offrent « le luxe pour le client de ne pas avoir à se déplacer » pour obtenir son produit, contrairement aux hypermarchés. Enfin, ces entreprises ont aussi l’avantage d’avoir « un stock gargantuesque de produits ». A titre indicatif, un hypermarché aligne des milliers de produits, alors qu’Amazon propose plus de « 26 millions de références différentes ». De là, les hypermarchés « sont battus sur leur propre terrain ». Le nouvel adversaire offre plus de choix et avec plus de précision.