Pour de nombreuses entreprises, la crise du Covid a révélé les limites du modèle managérial traditionnel et vertical. En effet, les collaborateurs ont revisité leurs attentes et sont en recherche de responsabilités, d’impact et de sens. En réponse à cela, l’entreprise « libérée » met en place de nouveaux modes de management, qui favorisent la participation des salariés aux décisions et des mécanismes d’auto-gestion.
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Dans leur ouvrage L’entreprise nouvelle génération, Philippe Pinault, Luc Bretones et Olivier Trannoy, décrivent le fonctionnement de ce modèle d’entreprise « libérée ». Un modèle qui offre aux employés une plus grande autonomie, plus d’agilité et la possibilité d’exprimer davantage leur créativité. Interview de Philippe Pinault co-fondateur de Talkspirit et Holaspirit, deux logiciels destinés aux entreprises.
Qu’est-ce que l’entreprise nouvelle génération décrite dans votre livre ?
Philippe Pinault : Les entreprises nouvelle génération sont des entreprises qui ont une approche un peu différente du management. Elles sont plus horizontales que l’entreprise traditionnelle et mettent en œuvre des pratiques de self management. C’est-à-dire qu’elles se pensent comme un réseau d’équipes autonomisées et responsabilisées qui définissent leurs propres modes de fonctionnement. Cela traduit une chose importante : ces organisations favorisent et libèrent la prise d’initiative en se détachant du lien hiérarchique qui, dans les entreprises traditionnelles, fige les choses et ralentit la prise de décision.
Une autre caractéristique importante des entreprises nouvelle génération, c’est leur centrage autour d’une raison d’être. L’organisation n’est plus for profit ou non profit mais for purpose. C’est-à-dire qu’elles ont conscience de leur action sur leur écosystème et qu’elles ont la volonté d’avoir un impact positif sur celui-ci. Cette conscience très forte ne se trouve pas seulement au niveau de la direction d’entreprise mais infuse l’ensemble de l’organisation.
L’entreprise nouvelle génération est-elle similaire à l’entreprise libérée ?
P. P : L’entreprise libérée c’est un terme marketing pour décrire les mêmes sujets. Le concept a souvent été mal compris, parce que dans « libérée » on entend « désordre » et « chacun fait ce qu’il veut ». Au contraire, il faut comprendre l’entreprise libérée comme une entreprise qui est libérante. Elle libère la prise d’initiative et la décision. Dans l’entreprise classique, on a tendance à demander la permission à son supérieur. Alors que s’il existe un périmètre dans lequel chacun sait ce qu’on attend de lui, il pourra plus facilement s’exprimer et prendre des décisions.
Ces entreprises « libérées » portent donc une attention toute particulière à bien décrire les choses, ou en tout cas à mieux les décrire que le modèle traditionnel, qui ne dit rien de plus que « qui subordonne qui ». Je suis un peu caricatural dans ma façon de le dire mais c’est pour illustrer l’idée qu’une entreprise libérée est une entreprise qui fonctionne avec des codes bien précis, un peu différents mais, à mon avis, plus rigoureux dans la définition des modes de fonctionnement.
Comment devient-on une « entreprise nouvelle génération » ?
P. P : Un des éléments importants qui caractérisent l’entreprise nouvelle génération est celui de la gouvernance. C’est-à-dire la façon dont on pense le fonctionnement et la prise de décision à l’intérieur d’une organisation. Dans l’entreprise nouvelle génération on a une vraie volonté de mettre de la clarté sur le « qui fait quoi » : qui a l’autorité pour prendre la décision, comment nous décidons de travailler collectivement.
L’entreprise nouvelle génération vient donc clarifier ses modes de fonctionnement. Elle va déléguer aux uns et aux autres la capacité d’améliorer le modèle, chacun à son niveau et suivant une règle du jeu définie. Et parce que le cadre ainsi défini est clair, chacun va pouvoir mieux s’exprimer et prendre les bonnes initiatives, à l’intérieur de son périmètre. C’est ce qui lui permet d’évoluer aussi souvent que nécessaire. L’entreprise nouvelle génération se décrit d’ailleurs comme un organisme vivant qui évolue en permanence.
La crise sanitaire semble favoriser l’émergence d’entreprises nouvelle génération. En quoi le Covid questionne-t-il les modèles traditionnels ?
P. P :
Pour beaucoup d’entreprises, même avant le Covid, le travail était déjà dans une forme collaborative. Mais le plus souvent le management se faisait à proximité des équipes. Le Covid est venu imposer un télétravail généralisé. Il a amené les collaborateurs à repenser leur façon de travailler les uns avec les autres.
La pandémie a donc créé une rupture avec un mode de management de contrôle et de présentéisme. On s’est aperçu que l’entreprise pouvait continuer de fonctionner même lorsque ses équipes sont à distance. On a découvert qu’on pouvait tout à fait fonctionner avec des approches de management différentes qui responsabilisent davantage les équipes. En cela, je pense que le Covid a été un accélérateur de la transformation.
Quelles sont aujourd’hui les nouvelles attentes des collaborateurs ?
P. P : Les collaborateurs, de manière générale, cherchent à être responsabilisés et avoir assez d’autonomie pour pouvoir s’exprimer dans leurs différentes missions. Ils cherchent également du sens dans ce qu’ils font. C’est notamment le cas chez les plus jeunes générations. Ils ne voient plus du tout le travail comme un travail, justement, avec cette connotation de labeur, mais plutôt comme un espace dans lequel ils vont pouvoir se réaliser et mettre leur énergie au service d’un projet qui fait sens pour eux.
Cette recherche de sens, on la retrouve à tous les étages des organisations. Je pense donc qu’aujourd’hui les managers se doivent d’injecter du sens dans le projet et de créer le cadre qui favorisera l’initiative et permettra au collectif de « mieux jouer ensemble ». Pour moi le manager est quelqu’un qui crée des possibles.
Les entreprise « libérée » répond-elle à ces attentes ?
P. P : Oui tout à fait ! Elle fournit le cadre de travail qui va permettre à ses collaborateurs de trouver du sens dans ce qu’ils font. Sa raison d’être est pour elle une ambition, un cap, qui va être déclinée dans l’ensemble des départements et des équipes pour avancer ensemble dans cette direction. Donc oui, l’entreprise nouvelle génération répond bien à cette préoccupation du sens et fournit les outils de travail pour favoriser l’initiative.
La transformation de l’entreprise vers ces nouveaux modèles me semble d’ailleurs inéluctable. Demain, on regardera les organisations du XIXème siècle, définies par un organigramme hiérarchique et pyramidal, comme quelque chose de suspect. Aujourd’hui, le modèle de l’entreprise « libérée » est très clairement le nouveau framework sur lequel les entreprises se développent. Pour attirer mais aussi fidéliser les talents de demain, inscrire son entreprise sur ces modèles-là me semble tout à fait raisonnable et nécessaire.