D’Acacias for all au Conseil présidentiel pour l’Afrique, Sarah Toumi est une femme d’engagements. Invitée phare de la nouvelle édition du ChangeNOW Summit, cette entrepreneure sociale revient pour Widoobiz sur ses combats, en premier lieu la lutte contre la désertification, et sur ses nouveaux défis.
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En quelques mots, pouvez-vous nous décrire Acacias for all ?
Acacias for all est une entreprise sociale tunisienne qui lutte contre la désertification. Nous structurons des chaînes de valeurs agro-écologiques afin de régénérer la biodiversité tout en créant des emplois dignes dans les zones semi-arides de Tunisie.
Comment est né le projet Acacias for all ? Quelles étaient vos ambitions ?
Le projet est né il y a plus de dix ans. D’un côté, je cherchais une solution pour lutter contre le phénomène de désertification qui menaçait la pérennité des oliveraies de mon grand-père en Tunisie. De l’autre, je voulais valoriser le travail des femmes. Au total, elles représentent 80% de la main d’œuvre agricole en Tunisie mais elles peinent à entreprendre et à s’organiser au sein de coopératives. Pour moi, le lien entre la préservation de la nature et le bien-être des communautés a toujours été une évidence. Je viens d’une famille d’oléiculteurs et par définition, les agriculteurs sont des personnes connectées à la nature car dépendantes des ressources naturelles disponibles, comme l’eau et la terre, mais aussi du climat. La Tunisie est l’un des pays les plus touchés au monde par le stress hydrique. Mais paradoxalement, 90% de l’eau douce est utilisée pour l’agriculture. C’est à partir de tout cela que j’ai décidé de me lancer dans l’aventure en 2012, à l’âge de 24 ans, avec beaucoup d’énergie et peu d’expérience de la vie.
« Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait »
Mon ambition était de promouvoir un nouveau modèle agricole valorisant les pratiques agroécologiques et agroforestières pour lutter contre la désertification des terres et planter des espèces moins consommatrices en eau, comme les acacias raddiana. Pour ce faire, l’idée de départ se basait sur la plantation d’1 million d’acacias dans toute la Tunisie pour créer des haies protectrices et produire la gomme arabique. Mais au fur et à mesure des années, et après avoir planté plus de 700 000 arbres (et pas seulement des acacias), je me suis rendue compte que cela n’était pas la meilleure approche, et qu’au contraire mon approche holistique des problématiques environnementales et sociales devait s’illustrer par la mise en place de coopératives faisant la promotion de l’agroécologie, avec une approche plus qualitative et durable dans le temps dont l’impact se mesure en terme de chiffre d’affaire généré par les agricultrices, de nombre d’espèces d’animaux et végétaux présents par hectare restaurés, et de nombre d’hectares gérés durablement, ce qui garantit la croissance des plantes et la résilience des écosystèmes.
Quelles sont les prochaines étapes ?
Aujourd’hui, l’entreprise Acacias for all et sa jumelle, l’association Dream in Tunisia, travaillent dans 3 régions en Tunisie. Elles représentent 3 zones bio-climatiques, et travaillent à la création de cas d’étude et contenus pédagogiques à destination des agriculteurs, des entrepreneurs, et des enseignants. En partenariat avec l’Institut National de la Recherche en Génie Rural, Eaux et Forêts (INRGREF) et avec le soutien de l’Institut français de Tunisie, nous souhaitons que l’expérience puisse inspirer de nouveaux leaders à s’emparer du sujet. Ainsi, ils pourraient répliquer et améliorer le modèle créé par Acacias for all pendant 10 ans. L’entreprise bénéficie de la confiance de ses clients et vend sa marque de super-aliments en Tunisie. Mais propose également des huiles essentielles et végétales à l’international, dispose de 3 ateliers de transformation spécialisés dans les dattes, les huiles essentielles, et les plantes aromatiques et médicinales séchées. Cela assure un revenu aux groupements féminins agricoles partenaires, et nous permet d’employer une petite équipe.
Pour ma part, j’ai rejoint en 2021 l’équipe de la Convention des Nations Unies sur la lutte contre la désertification pour travailler à la mise en place de l’accélérateur de la Grande muraille verte. C’est un nouveau challenge dans lequel mon expérience au sein de Acacias for all apportera un éclairage du terrain. Ainsi, les communautés au sein des 11 pays de la Grande muraille verte pourront s’emparer de ce projet qui est né d’une volonté politique et avant-gardiste de l’Union Africaine. Aujourd’hui, l’objectif est de restaurer 100 millions d’hectares, créer 10 millions d’emplois et séquestrer 250 millions de tonnes de carbone.
Vous êtes lauréate du prix Rolex en 2016, listée dans le Forbes Under 30 spécial entrepreneurs sociaux, et nommée par Emmanuel Macron au Conseil présidentiel pour l’Afrique, que vous inspire cette reconnaissance ?
Je dois avouer que pendant des années, j’étais, comme beaucoup d’entrepreneurs sociaux. Tellement préoccupée et passionnée par la réussite de mon projet, que j’ai vécu ces remises de prix et ces reconnaissances sans vraiment prendre le temps de me rendre compte de la chance que j’avais de recevoir la confiance d’autant d’institutions aussi renommées. Je suis fière et leur confiance m’honore car elle démontre que le courage d’agir par conviction et altruisme peut mener n’importe quelle personne à faire bouger les lignes du status quo. Rolex m’a offert un réseau de lauréats inspirants, une oreille attentive et des conseils pertinents pour avancer dans ma vision. Ils ont toujours cru en moi et ont toujours été là pour mettre en valeur mon travail et ma vision. Le conseil présidentiel pour l’Afrique a été une vraie école de la politique publique pour moi. Cela m’a permis pendant 4 ans de côtoyer les institutions publiques à un niveau que je n’aurais même pas pu oser imaginer. J’ai partagé ma connaissance du terrain, appris énormément sur les méthodologies de changement d’échelle et de financement public… Mais je pense aussi avoir inspiré ces institutions à se tourner d’avantage vers l’agroécologie et la prise en compte holistique des problématiques de développement. La cause environnementale étant un catalyseur pour la création de cercles vertueux, et l’intégration du secteur privé à la résolution de ces problématiques étant une urgente nécessité.
Votre participation à ChangeNOW est une forme d’évidence ?
J’ai voulu changer les choses depuis mon plus jeune âge. Lutter contre les inégalités, lutter contre le réchauffement climatique, lutter contre l’épuisement des ressources naturelles… Je peux dire que je suis née indignée par l’injustice, et passionnée par la résolution des problèmes complexes, c’est un trait de caractère. Je crois que ChangeNOW montre l’importance de détruire les silos et enclencher un dialogue franc et constructif entre toutes les parties prenantes pour sauver les générations à venir d’un futur apocalyptique. Je suis heureuse de contribuer à ce dialogue et apporter ma solution à l’édifice de ce monde post-covid.