« Il ne faut pas croire que la réouverture de l’économie est synonyme d’un retour à la normale » Marc Touati, économiste

« Il ne faut pas croire que la réouverture de l’économie est synonyme d’un retour à la normale » Marc Touati, économiste

Publié le 7 mai 2021

Dans un rapport, la Banque centrale européenne préconise aux Etats de continuer à soutenir les entreprises sous peine d’une vague de faillites. Mais ces derniers, notamment la France, le peuvent-ils encore ? Qui payera les dettes des entreprises défaillantes ? Quelles conséquences pour les banques et le contribuable ? Eclairage de Marc Touati, économiste et auteur de l’ouvrage Reset: quel nouveau monde pour demain ? 

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La BCE met en garde sur le risque majeur d’insolvabilité des entreprises en sortie de crise et appelle les États à accroître leur soutien. Avez-vous les mêmes craintes ?

Marc Touati : Malheureusement, oui. Comme lors d’un tsunami, c’est quand la mer se retire que l’on évalue l’ampleur des dégâts. Depuis un an, l’économie française est sous perfusion de fonds publics… Comme l’état a distribué ces aides sans conditions, ou quasiment pas, beaucoup d’entreprises qui n’étaient pas viables ont continué d’exister. À partir du moment où l’économie arrêtera d’être sous perfusion, ces entreprises zombie qui ont été artificiellement soutenues vont disparaître. C’est d’ailleurs le paradoxe de cette crise, je rappelle que l’année dernière le PIB a baissé de 8,2 %, pourtant les faillites sont tombées au plus bas depuis 1987. Tout le problème est là, nous vivons dans une économie complètement artificielle

De plus, il ne faut pas croire que la réouverture de l’économie est synonyme d’un retour à la normale, il y a malheureusement beaucoup de secteurs qui vont continuer à souffrir, notamment dans le tourisme, l’évènementiel ou encore l’aéronautique. Le télétravail qui va perdurer même après la crise aura également un impact sur la reprise. De nombreuses entreprises n’auront plus besoin de centaines de mètres carrés de bureaux, tout ce pan de l’immobilier risque aussi de s’effondrer.

« Ce n’est que le début parce que la BCE va devoir limiter sa planche à billets et c’est à ce moment-là que le château de cartes va s’effondrer. »

Si ces entreprises font faillite, qui va rembourser leurs dettes ?

Le problème est là. On estime qu’environ 10 à 20 % des PGE ne seront pas remboursés. Comme ces prêts ne sont garantis qu’à hauteur de 10 % par les banques et à 90 % par l’État, ce sera donc à ce dernier de payer la note. Pour les banques, la facture ne sera pas trop salée. D’ailleurs, nombreuses sont celles qui ont déjà fait des provisions pour pallier ces pertes.

Le réel enjeu ici va être l’évolution des taux d’intérêt. Pourquoi nous avons pu continuer comme si tout allait bien ? Parce qu’on a maintenu la fameuse planche à billets de la BCE. Donc malgré une dette publique qui explose (environ 116 % du PIB), les taux d’intérêt d’obligation de l’État sont restés extrêmement bas. Mais depuis quelques jours, nous avons franchi le seuil des 0 %. Et ce n’est que le début parce que la BCE va devoir limiter sa planche à billets et c’est à ce moment-là que le château de cartes va s’effondrer.

« Aujourd’hui le fameux « quoiqu’il en coûte » cher à Emmanuel Macron tient seulement parce que les taux d’intérêts sont bas, mais ça ne durera pas. »

Pour quelles raisons la BCE encourage-t-elle alors les États à continuer de soutenir les entreprises malgré une dette qui augmente ?

 C’est là qu’il faut lire entre les lignes. Dans son rapport, la BCE dit aux États, notamment la France, d’être plus efficaces dans l’octroi de ses dépenses publiques. Elle préconise d’ailleurs, à juste titre, d’accélérer les faillites des entreprises jugées non viables pour mieux soutenir celles qui le sont. Pour cela, l’État doit vérifier les fonds propres et les projets d’investissement des entreprises auxquelles il octroie des aides. Il doit désormais jouer le rôle d’investisseur.

Je ne veux pas jouer le méchant ultra libéral, mais augmenter la dette publique sans regarder à la dépense, pose un problème pour les générations à venir. C’est pourquoi nous avons besoin d’un État qui va mieux orienter ses dépenses publiques. Car nous allons traîner cette dette comme un boulet et nous n’aurons pas les moyens de relancer la machine lorsque l’on en aura besoin.

Pensez-vous que les actions de la Banque centrale européenne devraient être revues ?

Elles seront revues de toute façon. Durant cette crise sans précédent, il fallait éteindre l’incendie. C’est ce qu’elle a fait. Maintenant il va falloir régler les comptes. De plus, toutes les liquidités qui ont été distribuées par les banques centrales ont surtout alimenté les bulles financières ou boursières, et n’ont pas assez soutenu l’économie.

 

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