Bitoun Julien. Il est tout aussi probable que regrettable que ce nom ne vous dise pas grand-chose. Pourtant, pour peu que vous vous intéressiez à la musique, à six cordes de préférence, il est presque certain que vous ayez déjà croisé sa route, sans le savoir. De Woodbrass à Sciences Po, du Monde à Guitare Village, de Guitar Fest à Palf, Julien Bitoun trace une route exigeante et singulière. Rencontre avec une figure devenue incontournable du paysage musical français.
Entre confinement et interdiction des rassemblements, à quoi ressemble le quotidien d’un musicien/journaliste musical aujourd’hui ?
À titre personnel, c’est à la fois très différent et exactement la même chose. J’ai effectivement plusieurs casquettes, plusieurs métiers tous liés directement ou non à la musique. Pour la partie journalisme, peu de changements dans la mesure où je travaille à la maison. En tant que musicien, la donne est évidemment radicalement différente. Nous avions prévu avec le groupe Julien Bitoun & The Angels une tournée de lancement de notre nouvel album (Big White Moon) début mars, tournée évidemment reportée. Et dans la mesure où personne ne sait vraiment quand on pourra reprendre les concerts, je me concentre sur la composition et la préparation d’un prochain album. Il y a forcément une grande frustration de ne pas pouvoir jouer devant le public. En attendant, on essaye de faire différemment, on a le temps pour d’autres projets comme l’enregistrement d’un EP de reprises d’Hank Williams.
On a vu de très nombreux musiciens utiliser les réseaux sociaux pendant le confinement pour maintenir un lien avec leur public, est-ce un effet du moment ou une nouvelle norme ?
Je préfère opter pour l’effet du moment. Il y a effectivement un côté sympa à voir des grands artistes se prêter à l’exercice, mais dans le fond, cela traduit surtout que comme tout musicien, ces personnes ne savent pas trop quoi faire de leurs mains sans concerts. Pour grossir à peine le trait, un musicien sans public ça ne sert à rien. Mais dans le fond, ce qui a fait ces artistes, c’est l’exigence, la lenteur, ce qui est difficilement compatible avec le côté frénétique et instantané des réseaux sociaux. Je ne suis pas convaincu que cela débouche sur une forme de création intéressante.
« Le podcast, finalement, c’est l’antidote absolu au post Facebook et aux commentaires sans objet. »
Toujours au sujet des réseaux sociaux, peut-on aujourd’hui en faire réellement l’économie ?
On peut, mais au risque de se retrouver tout seul. À l’heure actuelle, même les plus conservateurs ont fini par s’y mettre. C’est une évidence que l’on peut regretter, mais qui est actée. Cela vaut pour les musiciens et pour les journalistes musicaux. Et à bien y regarder, c’est tout aussi complexe de proposer une vidéo de 15 minutes avec du contenu de qualité que d’écrire un article de 3000 signes. Quitte à faire l’avocat du diable, je ne connais pas de medium plus puissant que le podcast pour développer une idée sur un temps long, à condition bien sûr de rester dynamique. Le podcast, finalement, c’est l’antidote absolu au post Facebook et aux commentaires sans objet.
Bien évidemment, cela pose de nombreuses questions en termes de monétisation, même si le marché a beaucoup évolué sur ces nouveaux formats. À titre personnel, et même si je me réjouis d’être soutenu par mes auditeurs via des plateformes comme Patreon, les podcasts ne me rapportent pas directement de l’argent. Par contre, la pertinence des contenus me positionne auprès d’éditeurs pour des projets connexes.
La crise de 2008 avait eu un effet très marqué sur la vente d’instruments, le fameux vintage en particulier, peut-on s’attendre à la même chose en 2020 ?
Difficile à dire, tout va dépendre de l’ampleur de la crise économique. Ce qui est nouveau, c’est que des musiciens se retrouvent en très grande difficulté, surtout aux Etats-Unis où le régime d’intermittent n’existe pas. On peut vivre quelques temps sur ses économies mais très vite la seule solution c’est de revendre une partie de son matériel pour payer son loyer, ce qui, inévitablement, augmente l’offre. Le marché de la guitare d’occasion est depuis très longtemps un marché de l’offre. Sur le segment du vintage, on peut se demander si certaines références vont devenir des valeurs refuges. Finalement, une Fender des années 60 n’est pas un si mauvais placement.
Il est paradoxalement possible que ce soit le marché grand public « actuel » qui soit le plus affecté. Petit aparté d’ailleurs pour mettre en avant une profession qu’on oublie souvent et qui est pourtant pleinement touchée par la crise : les luthiers. Ils sont au service des musiciens, et à partir du moment où les musiciens sont à l’arrêt, eux aussi. Qui plus est, il n’existe pas à ma connaissance de statut protégeant ces artisans en tant que composant d’un patrimoine culturel.
Pour conclure sur une note moins anxiogène, en tapant Julien Bitoun sur internet, on trouve, parmi un certain nombre de pages, cette mention : « professeur d’Histoire du Rock à Sciences Po ». Comment en arrive-t-on, entre autres, là ?
En le faisant, tout simplement. J’étais étudiant dans cette école et j’ai commencé à y donner des cours informels, à coup d’affiches collées sur les murs, donnant rendez-vous dans le local associatif. J’ai été diplômé en 2007 et ce qui m’avait frappé à l’époque c’est que dans cette école, pourtant prestigieuse, la musique et le rock en particulier n’avaient pas leur place. Pas même un local pour répéter. Je venais de Brest, et même dans mon lycée il y avait une salle dédiée à la musique. C’est assez révélateur de la place accordée à cette forme de contre-culture qu’est toujours le rock. Il suffit pour s’en convaincre de repenser aux innombrables débats qui ont suivi la remise du Prix Nobel à Bob Dylan dont on doit saluer la réaction très fine.
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