« Je suis persuadé que le combat mené pour la parité hommes-femmes doit aussi être mené par les hommes ». Pourquoi l’égalité des sexes devrait-elle être une affaire de femmes ? Il s’agit pourtant d’un enjeu de droits humains dont les hommes ne peuvent être exclus. C’est aussi par eux que se fera le changement. Beaucoup en ont conscience et ils s’engagent.
Loin d’être un phénomène de masse, on constate qu’aujourd’hui de nombreux hommes se disent volontiers proches des féministes. Des groupes masculins fleurissent comme Zéromacho ou HeForShe. S’agit-il d’une façon de se donner bonne conscience ou d’un engagement sincère ? Chez Widoobiz, on souhaite croire à la seconde option. Démonstration.
Remettre en cause l’ordre établi
Dans son livre Les hommes veulent-ils l’égalité ? Patric Jean, cinéaste et co-fondateur du réseau Zéromacho, s’interroge sur la place des hommes dans la marche pour l’égalité des sexes. Est-ce une illusion ? Peuvent-ils y participer utilement et sincèrement ? Aujourd’hui en Europe « toutes les lois plaçant les femmes en situation d’infériorité ont été abolies. […] Pourtant, en dehors du droit, l’injustice demeure. Les hommes continuent de jouir de nombreux privilèges dans tous les domaines ». L’auteur s’interroge alors sur les raisons pouvant pousser un homme à risquer sa situation confortable vis-à-vis des femmes en remettant en cause l’ordre établi.
« Un homme ne peut raisonnablement se sentir coupable d’avoir été socialisé comme un homme. Mais une fois qu’il en a pris conscience, il a la responsabilité de son choix : protéger ses privilèges ou tenter de construire l’égalité ». Eux, ils ont choisi l’égalité. Interrogés sur leur engagement, les membres masculins de l’antenne HeForShe de Kedge Bordeaux semblent s’accorder sur un fait : c’est par les hommes que passera le changement. Ils l’affirment, « en tant qu’homme, c’est important de montrer que ce n’est pas un combat qui concerne uniquement les femmes […]. S’ils ne changent pas, rien ne changera […]. Ça peut être plus facile de leur faire passer le message si ce sont des hommes qui le disent ».
Un avis que partage Zéromacho, un réseau international rassemblant des hommes de tous pays, âges, origines et professions. Depuis 2011, ils s’engagent publiquement contre le machisme et en particulier contre sa forme la plus extrême, la prostitution. L’ambition de Zéromacho est « d’essayer de profiter de sa singularité, être une association d’hommes, pour s’adresser aux hommes différemment ».
Les hommes parlent aux hommes
Grâce à un « Appel du 8 mars, des hommes parlent aux hommes », lancé à l’occasion de la Journée Internationale des Droits des Femmes, le réseau souhaite lutter contre le sexisme et faire prendre conscience de la toxicité de certains comportements masculins.
« Messieurs, on ne va pas se mentir, pour que les choses changent, va falloir qu’on change ». C’est le message adressé à la gente masculine au travers de cette campagne vidéo composée de trois épisodes. Un message qui, selon Frédéric Robert, co-fondateur du réseau, correspond parfaitement à ce que Zéromacho souhaite faire passer. « En s’adressant à Monsieur-tout-le-monde et en cherchant à le responsabiliser sans paraître « surplombant » ».
Face à cette campagne, « la réaction masculine la plus courante consiste toujours à se mettre sur la défensive et à opposer un « ok, mais je ne suis pas comme ça » », témoigne Frédéric Robert. Pourtant, les hommes semblent mieux réagir qu’avant le mouvement MeToo. « J’ai l’intuition que malgré leurs protestations, quelque chose en eux s’est déplacé et ils se sentent de moins en moins en droit de défendre la « virilité » et d’accuser la brutalité des autres ». Il ajoute cependant qu’il s’agit là d’une intuition et admet que ce progrès n’est pas encore flagrant.
Pourquoi les hommes s’engagent ? Témoignages
« On a tous des femmes dans nos vies et elles ont toutes subies des pressions de leur entourage et de la société ». Si on incite aujourd’hui les hommes à faire évoluer leurs comportements, c’est souvent dans leur sphère privée que naît leur prise de conscience. Il peut s’agir du récit de mauvaises expériences vécues par une proche, d’une rencontre ou d’un élément du quotidien soudain perçu comme sexiste.
« Comme tout le monde, je crois que j’ai pris conscience progressivement de la domination que nous, les hommes, exerçons sur les femmes. Comme quand on met des lunettes de vue pour la première fois, j’ai eu la certitude que je ne pourrai pas revenir en arrière », témoigne Frédéric Robert pour qui la prise de conscience a été tardive et progressive, déclenchée par une publicité sexiste.
Pour les étudiants de l’ESSEC et de KEDGE Bordeaux, membres de l’association HeForShe, le déclic s’est fait plus jeune. Certains d’entre eux ont été touchés par les témoignages entendus dans l’actualité, notamment lors des mouvements #MeToo. Pour d’autres, c’est dans le contexte étudiant qu’ils ont pris conscience des stéréotypes sexistes dont souffrent les femmes, mais aussi les hommes. Au sein d’HeForShe, ces étudiants, et étudiantes, agissent concrètement au travers d’actions de sensibilisation. Évènements, collectes de dons, concours photos…ils font figure d’ambassadeurs, parfois de confidents. Plus important encore, ils montrent l’exemple et soutiennent publiquement que l’égalité des sexes n’est pas une affaire de femmes. Les hommes aussi, ont besoin de rôles modèles capables de prouver qu’un homme peut vouloir l’égalité.
« Au début certaines de mes connaissances pouvaient penser qu’un homme ne peut pas s’engager pour ce genre de cause sans arrière pensée. Que je le fais pour attirer les faveurs de la gente féminine ou je ne sais quelle raison d’ailleurs ». Il reste encore du chemin avant que l’idée d’un homme pro-féministe soit complètement adoptée. Si les femmes semblent l’accueillir positivement, les hommes, pour la plupart, restent moqueurs et médisants face à l’engagement masculin. « Ils ne comprenaient pas que je me battais pour eux aussi », conclut ce membre d’HeForShe ESSEC.
De l’égalité des sexes à l’égalité tout court
Dans son essai, Patric Jean admet que la marche vers l’égalité des sexes est différente en fonction du genre. Les unes souhaitent augmenter leur autonomie, s’émanciper. Tandis que les autres cherchent à réduire leur pouvoir et à abolir leurs propres privilèges. « Les deux chemins conduisent à un même point, mais les hommes et les femmes marchent dans des sens diamétralement opposés ».
Dès lors, les hommes qui s’engagent pour l’égalité, préfèrent souvent se décrire comme pro-féministes, « laissant le terme de féministe exclusivement aux femmes ». Ainsi, ils affirment leur engagement en faveur de l’égalité, tout en reconnaissant appartenir au groupe dominant. Ils ne parlent pas à la place des femmes. Frédéric Robert se présente, lui, comme pro-féministe. « C’est ce qui m’a amené à co-fonder Zéromacho, à militer, à animer des groupes de paroles d’hommes, à intervenir dans la sphère publique ». Dans sa vie professionnelle, mais aussi dans la sphère privée, il s’efforce de faire évoluer ses habitudes et celles de son entourage. « J’ai essayé de donner une éducation la moins genrée possible à mes trois enfants », ajoute-t-il.
Interrogé sur cette question épineuse : « un homme peut-il être féministe ? », il répond que ce débat ne le passionne pas. Et d’ajouter avec philosophie : « Je crois à l’universalité de la pensée et je ne retirerai à personne le droit d’élaborer une pensée non « déterminée » ». Patric Jean estime, quant à lui, que « la lutte pour l’égalité entre femmes et hommes s’inscrit dans un mouvement qui est celui de l’égalité tout court ». Selon lui, « s’améliorer soi-même pour améliorer le monde permet à tout homme de tenter ce qui n’a jamais été. Se déconstruire socialement, ne plus être un homme, devenir un humain… »
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C'est plutôt vis à vis des autres hommes qu'il est inconfortable pour un homme de remettre en cause le "droit de violence" que s'arrogent certains, car le patriarcat, c'est ça, c'est comme ça qu'il est structuré : où dans l'immense majorité des cas, les hommes apprennent la violence entre eux, apprennent le modèle de domination et de prédation ("dominer ou être dominé), pas assez de choses ne les éduquent à la justice et les exemples de violence sont majoritairement masculins. Alors non, ce n'est pas vis à vis des femmes que les hommes osent peu remettre en cause leur confort, d'autant que se montrer féministe ou égalitaire a ses avantages dont nombreux sont ceux qui cherchent à en jouer. Patric Jean lui-même indique combien il est difficile pour un homme à se défaire de ses privilèges et combien il est commode d'être un homme pro-féministe. https://www.youtube.com/watch?v=QyYk_bh7ImY
Par bricolo, le 10 avril 2020