On pouvait craindre que les marques ne soient pas invitées à la construction du monde d’après, tant elles sont associées à celui d’avant, à la mondialisation, à l’hyperconsommation, à la standardisation des centres-villes, à la normalisation des goûts et des couleurs.
En fait, il n’en est rien. Les Français placent au contraire la consommation en tête des leviers de changement de la société, devant le gouvernement et les PME. Tout se passe comme si les marques qui, pendant des décennies ont façonné les attitudes et comportements, se voyaient clairement inciter par un consommateur plus que jamais citoyen à jouer un rôle sociétal.
Beau rendez-vous avec l’histoire ! « Rendez-vous » qui indique que c’est maintenant qu’il faut agir, changer, modifier les business models. « Rendez-vous » aussi au sens du lâcher-prise qui invite les marques à ne pas essayer de récupérer par la data l’influence qu’elles perdent, mais plutôt à construire un nouveau type de relation, moins vertical, plus côte à côte, en conversation avec leur public (et non plus leur cible).
Le chemin risque d’être long, quand on sait que plus d’un Français sur deux se déclare incapable de citer une marque engagée dans une contribution sociétale positive.
Pourtant, comme le prédit Bernard Stiegler, nous entrons dans une économie de la contribution et des valeurs. Et la loi Pacte, en donnant la possibilité aux entreprises de s’engager au travers d’une raison d’être et d’une mission, provoque des réflexions salutaires qui font apparaître que le marché (market) ne peut plus être le seul et unique objet de la science du commerce en 2020.
La crise du Covid a accéléré cette prise de conscience, et on sait aujourd’hui que la relance ne pourra être cette fois que responsable. Mais les Américains, en inventant le marketing, ont fait tomber les marques dans une marmite de potion magique si efficace qu’on a du mal à en arrêter les effets néfastes. Il est donc temps d’imaginer un concept plus large. Si « Mal nommer les choses c’est ajouter aux malheurs du monde » comme le dit Albert Camus, on peut tenter de le soulager en passant à un « Contributing® » qui permette aux marques d’être au rendez-vous des défis sociaux et environnementaux de notre temps.
Le Contributing® reposerait sur quatre valeurs
- La confiance. Confiance en soi, dans l’avenir et dans les autres. Élaborer des stratégies de Contributing®, c’est repousser tout fatalisme, tout immobilisme, en fédérant le maximum de contributeurs actifs, enthousiastes et compétents, prêts à inventer des solutions nouvelles face à la complexité.
- L’Homme social. Le capitalisme digital sort grand vainqueur de la crise du Covid et risque d’hypertrophier un individualisme déjà bien ancré dans la société. L’Observatoire de la marque France montre combien le nous en France est malade. Les Français cherchant à se protéger ont mis leurs chariots en cercle, dans une « ego-logie » assumée. Les marques engagées dans le Contributing® pourront défendre l’idée que, malgré la distanciation physique (et non pas sociale), les consommateurs auront toujours besoin de relation et de conversation pour faire société.
- Les libertés. La domination technologique des GAFA préempte des pans entiers de notre vie sociale. Comme l’évoque Vincent Mayet, l’accès pour Google, le marché pour Amazon, la relation pour Facebook, la créativité et le divertissement pour Apple font peser une menace réelle sur nos libertés individuelles (cf. Facebook/Cambridge Analytica)
- Le Contributing® devrait être aux côtés de ceux qui se battent pour défendre leur souveraineté technologique et préserver les libertés.
L’équilibre. Il s’agit bien sûr des grands équilibres (émissions de CO2, réchauffement climatique, décroissance énergétique…), mais aussi des petits : vie personnelle, vie professionnelle, conditions de travail, télétravail… Le Contributing® devra placer dimensions architecturales, physiques et comportementales au cœur de l’expérience consommateur.
Il faut se réjouir qu’un Contributing® spontané se soit développé pendant la crise. Les marques qui se sont engagées pour porter secours ont rencontré une réceptivité exceptionnelle de la part des consommateurs. Ces derniers plaçant la proximité comme un critère de choix décisif de leur acte d’achat. Aucune entreprise ne pourra se dispenser d’inscrire sa contribution sociétale dans une stratégie de long terme, ancrée dans les territoires. Cela passera, comme l’ont montré les rencontres d’Aix-en-Seine, par un capitalisme plus équitable et plus responsable, qui sache répondre aux enjeux du siècle de santé publique qui s’annonce.
Denis Gancel, fondateur de l’agence W, groupe Havas.