David Bernard, CEO d’Assess First revient sur l’urgence d’adapter les modes de recrutement à l’aune des évolutions en cours. Il appelle les entreprises à s’intéresser à la véritable nature de leurs candidats pour éviter un turnover, qui se révèle coûteux pour ces dernières. Interview.
Plus d’un tiers des CDI sont rompus avant un an. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Pas mal d’entreprises sont encore à la traîne dans leurs pratiques de recrutement. Le recrutement sur CV continue notamment de se perpétuer, alors que l’on sait très bien, depuis pas mal d’années déjà, que l’expérience ou les écoles desquelles sortent les jeunes n’ont quasi aucun impact sur leur capacité à performer une fois en poste. Pour résumer, les entreprises ne recrutent pas des individus selon leur personnalité, leurs motivations spécifiques ou encore leur potentiel. Elles préfèrent des BAC+4, +5 ou des “profils grandes écoles”. Cela les rassure, certes, mais c’est une ineptie totale du point de vue de l’efficacité du recrutement.
Si l’on ne s’intéresse pas réellement à la nature des individus, il n’est pas étonnant de se retrouver avec une majorité de personnes qui partent (ou qui sont remerciées) au bout d’à peine 12 mois. A noter également que par rapport à leurs aînés, cette classe d’âge a beaucoup plus de facilité à claquer la porte si elle ne se retrouve pas…
Quoi qu’il en soit, ces chiffres devraient inquiéter… Dans quel job tolère-t-on qu’un professionnel arrive à de tels taux d’échecs? En réalité, c’est incompréhensible… Cela devrait pousser la profession à se remettre sérieusement en question.
Pourquoi le recrutement est-il un processus si difficile à mener ?
Je ne dirai pas que c’est “difficile”. Les recruteurs adoptent seulement le mauvais prisme. Encore une fois, si l’on ne s’intéresse pas à la véritable nature des individus, comment pensez-vous pouvoir faire le “match” entre ces personnes et le job, l’équipe en place ou encore la culture de la boîte ? C’est tout bonnement impossible.
Ajoutez à ça le fait qu’il est parfois compliqué de “sourcer” des candidats. En effet, il n’existe pas seulement une base de données mais de nombreux endroits où rechercher des profils. Et la configuration de ces dernières ne facilite pas la tâche des recruteurs.
Il faut également prendre en compte également le fait que les “nouveaux candidats” sont les mêmes personnes que les “nouveaux consommateurs”. Ils ont élevé leur niveau d’exigences. De la même façon qu’ils préfèrent consommer responsable par exemple, ils ont besoin de bosser pour des entreprises qui portent certaines valeurs et qui s’illustrent par le respect d’une certaine éthique. Auparavant, par exemple, travailler pour une banque était valorisant. Maintenant, par la force des choses -ça l’est nettement moins… Idem pour bon nombre de secteurs, comme l’énergie, la grande distribution ou encore les transports.
Pourquoi est-il important de faire évoluer les modes de recrutement ?
Pour la simple et bonne raison que ces anciennes façons de faire ne fonctionnent plus. Pour moi cela revient au même que de se poser la question “pourquoi est-il important que les libraires ou les taxis se réinventent ?”. La réponse est évidente : parce que sinon, ces boites vont mourir ou ne plus trouver de talents. Fin de l’histoire.
On parle souvent de la nécessité qu’auront les individus à se réinventer et à apprendre tout au long de leur vie à faire face à la montée en puissance des algorithmes, des systèmes automatisés ou encore des robots qui ravissent chaque année aux êtres humains une part de plus en plus importante de leurs jobs… Pour les entreprises, c’est la même chose.
Une entreprise qui ne se réinvente pas – et surtout qui ne le fait pas suffisamment tôt – est condamnée à disparaître tôt ou tard… Au même titre que les individus qui n’auront pas les capacités à se réinventer.
Par quels moyens peut-on faire évoluer ces processus ?
En prenant en compte la part d’humanité qu’il y a en chacun des candidats. Ce n’est pas plus compliqué que ça. Je pense qu’il y a urgence à ce que les recruteurs prennent conscience que c’est en intégrant l’évaluation de la personnalité, des motivations ou encore des capacités cognitives de leurs candidats (et à fortiori des jeunes) qu’ils parviendront à attirer, à recruter et à fidéliser celles et ceux qui sont faits pour les jobs pour lesquels ils recrutent.
D’autant plus que toutes les études réalisées en la matière sont unanimes : ces 3 facteurs (personnalité, motivations, capacités cognitives) sont les facteurs qui prédisent le mieux le fait qu’une personne réussira en poste, et aussi qu’elle s’y épanouira durablement.
Continuer à se concentrer sur un niveau d’étude ou sur une expérience préalable de 2 à 3 ans dans le secteur alors même que l’on s’adresse à des jeunes diplômés, c’est tout simplement délirant… D’autant plus dans un environnement où certaines entreprises sont en perte d’attractivité. Les entreprises peuvent se rassurer en se disant qu’en temps de crise, le marché est plus à l’avantage des recruteurs… Cet avantage ne durera pas plus que le temps de cette crise.