Il semble loin ce temps où l’on demandait, avec une certaine appréhension, un jour de télétravail à son employeur. C’est que les préjugés, fondés ou non, étaient nombreux. Le télétravail, c’était une forme de RTT déguisé, un jour de congé qui n’en portait pas le nom. Les mentalités changeaient, progressivement, mais les imaginaires sous-jacent avaient la dent dure. C’était il y a deux mois, c’était il y a longtemps.
Une inversion des pôles, ni plus ni moins. Aujourd’hui, pour des raisons tout à fait louables, des salariés se voient refuser de retourner au bureau. Rien de plus normal en cette période inédite où la protection de la santé est l’alpha et l’omega des orientations pratiques et stratégiques des entreprises. Mais quand même, cela traduit un mouvement de fond, encore sourd, mais très puissant. C’est que l’on a besoin de repères, de référentiels. Deux mois en short à travailler sur son lit, ça bouleverse le bonhomme.
C’est une des limites du système. La confusion, la lassitude, le flou. Quel jour sommes-nous déjà ? Suis-je encore au travail ? Le bureau, cet espèce provisoirement en voie de disparition, est un espace connu, rassurant, normé. On arrive, on pose ses affaires, un café et c’est parti. c’est visible. Je suis derrière mon écran, ou je suis en pause. Je suis en ligne, ou je suis disponible. Avec le système, encore une fois nécessaire, du télétravail intégral, tout vole en éclat. L’autre devient, à l’usure, une forme de fiction.
Cette organisation nouvelle et contrainte permet à l’économie, ou plutôt à certains pans de l’économie de tenir. Elle permet de maintenir dans l’emploi des millions de salariés, et nul doute que si l’on demandait aux salariés de choisir entre chômage et télétravail, il choisiraient le télétravail. Mais cet impératif de continuité ne peut masquer une réalité plus complexe. Il y a une lassitude, une fatigue et peu d’échappatoires. Nous sommes déconfinés, mais pour un salarié parisien, vivant dans un espace réduit, honnêtement la différence est tenue. Elle se résume, plus ou moins, à l’édition d’une attestation pour sortir de chez soi.
On parle d’un retour à la normale (si tant est que cette expression soit pertinente) en septembre. C’est près, mais c’est loin. On cherche le second souffle. La date du 11 mai avait ceci d’utile, elle posait un horizon. Elle permettait de tenir, de se dire que c’était pour bientôt. Et depuis, il y a comme un vide, nourrit par nos incertitudes raisonnées.