La quarantaine aura-t-elle la peau de la relation startups/grands groupes ? Pas si sûr pour Antoine Baschiera, le CEO et cofondateur d’Early Metrics. Cette agence de notation de PME innovantes aide les grands groupes qui souhaitent investir dans celles-ci.
Quel est l’objectif d’Early Metrics en notant des startups ?
Antoine Baschiera : Nous nous sommes lancés il y a un peu plus de 5 ans sur un constat : de plus en plus d’investisseurs et de grands groupes s’intéressaient aux startups mais n’étaient pas capables de mesurer le potentiel et la solidité de ces sociétés. C’est comme ça qu’est né Early Metrics. Aujourd’hui nous travaillons avec 300 grands groupes et investisseurs et nous avons noté 3 600 startups. La startup n’est jamais notre client. C’est un point important sur notre modèle économique. Les clients sont uniquement les grands groupes et les investisseurs. Nous travaillons dans tous secteurs. Dans le secteur industriel avec Safran, Thales ou Renault. Dans le luxe avec LVMH ou L’Oréal. Dans le secteur financier, mais aussi avec des investisseurs comme des family office ou des fonds d’investissement.
Sur quelle méthode vous basez vous pour connaître la valeur de ces startups ?
AB : Nous nous basons sur le potentiel de croissance et la solidité, deux notions différentes mais complémentaires. Notre analyse du potentiel de croissance repose sur une trentaine de critères autour de trois piliers : l’équipe, le projet et le marché. Cette notation vient complémenter les méthodes de valorisations plus traditionnelles (DCF, multiples…) pour mesurer la valeur de ces jeunes pousses.
15 à 20 % des startups peuvent sortir gagnantes de cette période.
Quel est l’impact du Covid-19 sur la valorisation des startups ?
AB : Tout d’abord, il faut savoir que la valorisation sert à un moment T, celui d’une transaction. Donc la valorisation d’une société qui n’est pas en train de lever de l’argent ou de vendre sa société ne change pas en ce moment. En revanche, pour celles qui étaient en cours d’opération, la valorisation peut baisser et ce pour deux raisons. La première est liée au chiffre d’affaires qui est en baisse de 30 à 50 % dans l’écosystème. Logiquement, on a un impact proportionnel sur leur valorisation. La seconde est liée au risque, que nous mesurons. Plus ce dernier augmente, plus la valeur de la société baisse. Toutefois, entre 15 à 20 % des startups peuvent sortir gagnantes de cette période. Celles qui touchent au télétravail, à la santé, au monde digital, à la formation ou au divertissement… Ces sociétés-là peuvent voir leur risque diminuer et leur CA augmenter.
Adaptez-vous vos critères de notation pendant cette période ?
AB : On garde les mêmes critères, mais on fait évoluer les variables. Par exemple nous sommes en train de faire de la recherche sur « le taux d’actualisation », soit la mesure du risque. Nous cherchons à comprendre comment ce taux va évoluer en fonction de composantes sectorielles mais aussi intrinsèques à la société. Comme le niveau de cash, la distance à la rentabilité, le niveau de CA…
Pour les grands groupes, la crise aura aussi été un indicateur de la nécessité de se transformer profondément.
Quel est l’impact de la crise sur les pôles innovations des grands groupes ?
AB : Il y a des réactions différentes selon les types de secteurs. Le secteur public, le secteur bancaire et le secteur de la santé sont les moins impactés. On estime qu’ils devraient réduire de 10 à 20 % sur une année leurs investissements en innovation. Dès que le confinement sera terminé ou digéré, ils vont revenir à leur niveau normal, sans forcément rattraper ces mois difficiles.
Ensuite, on a un deuxième groupe qui est le secteur de l’industrie ou la grande consommation non-essentielle. Je pense notamment au secteur du luxe qui est impacté au niveau organisationnel, mais aussi meurtri dans son business model de façon plus profonde… Là, on peut imaginer que les départements d’innovation se recentrent sur ce qui va toucher au redémarrage opérationnel, à des projets plus courtermistes.
Le troisième pilier rassemble l’événementiel et le transport aérien, notamment Airbus et Air-France. Pour ces acteurs structurellement impactés, les conséquences vont dépasser l’année 2020. Cela va impliquer des réductions de budget assez fortes sur de la R&D et des capacités d’investissement sur ce qui n’est pas lié à l’activité opérationnelle.
Mais il y a une lueur d’espoir, car la crise aura aussi été un indicateur de la nécessité de se transformer profondément. C’est le cas d’Aéroports de Paris, un de nos clients, pour qui l’innovation est désormais un actif essentiel à protéger.
Un jeune CEO d’une boîte de 15 personnes devra désormais maîtriser la question de gestion de crise.
Quel est l’impact de cette crise sur le monde des startups à moyen terme ?
AB : Je pense que cette crise va faire exploser certains secteurs qui vont bénéficier de ce changement. Nous allons aussi vers plus d’équilibre entre croissance et rentabilité. On était dans une phase avec beaucoup de liquidité, avec des schémas très orientés croissance, qui consommaient beaucoup de cash. Nous allons probablement avoir un mouvement de balancier où l’intérêt des investisseurs et la posture des chefs d’entreprise vont évoluer. Nous aurons toujours de la croissance, mais une croissance plus limitée quant à la dépendance aux investisseurs externes. Enfin, la mesure du risque va se métamorphoser. Les startups, par définition, étaient des entités qui prenaient beaucoup de risques. On s’attendait peu à ce qu’une startup ait un plan de crise. Ce qui n’était pas l’apanage des startups, cette capacité de gestion de crise, va le devenir. Dans la palette des attentes qu’on aura, il y aura cette notion, et un jeune CEO d’une boîte de 15 personnes devra maîtriser cette question.