« Je crains que 15 % des petites entreprises ne disparaissent après cette crise. » Pierre Goguet président de CCI France

« Je crains que 15 % des petites entreprises ne disparaissent après cette crise. » Pierre Goguet président de CCI France

Eviter que les TPE et PME ne deviennent des victimes supplémentaires du Coronavirus, tel est le combat de Pierre Goguet. Le président de CCI France milite pour l’élargissement des aides à leur profit, mais aussi pour un accompagnement administratif et psychologique des chefs d’entreprise qui subissent cette crise sanitaire de plein fouet. Entretien

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En tant que président de CCI France, vous avez une vision générale de la situation pour les TPE et PME. Comment se portent-elles après presque un mois de confinement ?

Pierre Goguet : Il y a aujourd’hui une très grande inquiétude des entreprises sur leur pérennité. Selon une enquête que l’on a menée, un tiers des entreprises, notamment les petites, pensent qu’elles pourraient fermer dans les six mois qui viennent. Des chefs d’entreprise nous appellent en situation de détresse financière et psychologique. Ils ne voient pas comment ils vont sortir de cette situation. L’élargissement des mesures d’aides, comme le fonds de solidarité, est peut-être la solution. Car il y a des entrepreneurs qui ne bénéficient d’aucune aide à l’heure actuelle. Donc tout ceci est source de stress. Globalement, beaucoup d’entreprises se demandent si elles seront en mesure de réouvrir à l’issue de l’été.

Cette détresse psychologique des entrepreneurs, on n’en parle pas assez mais c’est une réalité ?

PG : En trois semaines, nous avons reçu plus de 125 000 appels, alors que la moyenne est de 30 000 par semaine. Le réseau des CCI a déployé plus de 2 000 collaborateurs pour les recevoir. Ce que l’on peut noter, c’est que les chefs d’entreprise se confrontent à des saisies en ligne parfois compliquées, comme celle sur l’activité partielle. Ils sont inquiets, voir en détresse, et ont besoin de s’exprimer. À tel point que nous avons mis en place une véritable vigilance psychologique pour suivre de manière particulière ceux qui nous semblent les plus fragiles. Nous allons vers celles qui ne nous ont pas appelées jusqu’à présent. Cela peut être parce que tout va bien, mais souvent ce sont ceux qui sont en détresse qui s’expriment le moins. L’inquiétude de tout le monde est de savoir combien de temps cela va durer, mais personne ne peut y répondre.

Il faut rajouter du bon sens et de la tolérance dans les mesures pour ne pas mettre en difficulté trop d’entrepreneurs.

Est-ce que l’État a réagi assez vite avec ses mesures selon vous ?

PG : Je crois que l’État a fait ce qu’il fallait au niveau des décisions et de la mise en œuvre des mesures, avec un process et une volumétrie qu’il faut saluer. D’ailleurs, ces mesures sont en train de s’ajuster. Le fonds de solidarité va être élargi, l’activité partielle bénéficie d’une enveloppe de 11 milliards au lieu de 8,5, et cela ira sûrement au-delà. C’est vrai qu’il y a eu quelques bugs pour la saisie en ligne des demandes de chômage partiel car le site n’était pas dimensionné pour le nombre de demandes. Là aussi, le ministère a réagi extrêmement vite en prévoyant une rétroactivité de 30 jours. C’est-à-dire que les entreprises peuvent faire leur déclaration de chômage partiel plus tard. Le problème sera sûrement similaire avec les banques qui ont vu arriver avec la BPI des demandes de prêts garantis par l’État. Et là aussi, la volumétrie va s’accroître parce que des entreprises avaient de quoi tenir jusqu’à fin mars, mais arriveront à sec en avril. Au niveau des petits commerces, je pense que la réouverture n’est pas pour demain.

À ce jour, l’entrepreneur président d’une SAS n’est pas indemnisable du tout.

Concrètement qu’est-ce qui peut être fait pour soulager ces entrepreneurs ?

PG : D’abord, il faut clarifier la situation. Il faut que les chefs d’entreprise qui ont appliqué le protocole sanitaire aient une obligation de moyens, et non de résultats. En effet, on ne peut pas garantir qu’il y aura zéro contamination sur le lieu de travail. Après, je crois qu’il va falloir ajuster à chaque entreprise les mesures d’indemnisations prévues. Je prends pour exemple les 1 500 euros alloués. Cette somme peut être suffisante pour certains. Mais pour d’autres, elle ne l’est pas. Il faut rappeler que les 1 500 euros sont prévus pour une entreprise. Mais il y a des sociétés dans lesquelles un couple, ou des associés travaillent ensemble. Ce sont les deux qu’il faut indemniser et faire vivre. Il faut rajouter du bon sens et de la tolérance pour ne pas mettre en difficulté trop d’entrepreneurs. À ce jour, il n’y a pas de demandes de dépôt de bilan significatives qui sont montées, mais je pense que cela viendra malheureusement.

Les indépendants sont-ils les grands oubliés du point de vue des aides économiques ?

PG : Comme je fais partie de la cellule de continuité économique qui se réunit toutes les semaines, j’ai justement fait une contribution à Bruno Le Maire à ce sujet. Nous demandons clairement une amélioration du process. L’année dernière, nous étions très fiers d’avoir 400 000 nouveaux entrepreneurs. La plupart de ces entrepreneurs se sont créés avec des sociétés de type SAS, Société par Actions Simplifiée. Le modèle de société le plus simple. Eh bien à ce jour, l’entrepreneur président d’une SAS n’est pas indemnisable du tout. Sur les 400 000 créateurs de l’année dernière, la moitié est à la tête d’une SAS et n’est sûrement pas indemnisée à ce jour. C’est ce que j’ai fait remonter au ministre. Il faut absolument les intégrer d’une manière ou d’une autre ou nous allons perdre tout l’écosystème entrepreneurial. Signalons quand même que les régions ont mis en place des fonds pour indemniser ceux qui ne le sont pas jusque-là. Cela commence à se mettre en place.

Je crains que 10 à 15 % des petites entreprises ne disparaissent après cette crise.

Le PIB a chuté de 6 % au 1er trimestre 2020. Selon vous, quelles seront les conséquences du confinement sur notre vie économique ?

PG : Je crains que 10 à 15 % des petites entreprises ne disparaissent après cette crise. Elles mettront la clé sous la porte parce qu’elles n’auront pas tenu à cause des charges, des loyers. Un véritable mur de dettes est en train de se créer. Et il ne faut pas oublier qu’il s’agit d’entreprises qui ont déjà dû faire face aux gilets jaunes et aux grèves. S’il n’y a pas derrière des mesures d’abandons, d’exonérations, ces entreprises ne pourront pas rembourser et devront déposer le bilan.

Cette épidémie remet-elle en cause notre système ?

PG : Clairement, nous devons provoquer les changements. C’est pourquoi les Chambres de commerce (CCI) ont créé un groupe sur le rebond et l’après. Nous devons envisager, au minimum au niveau européen, de relocaliser toute une série d’entreprises et d’activités dont, on le constate aujourd’hui, on ne peut pas se passer. Il y a peut-être des entreprises qui allaient disparaître en France et qui vont retrouver de la vigueur. C’est une dynamique qui avait commencé avant, mais qu’il faut accélérer très vite. Du point de vue du consommateur, l’hyper consumérisme doit se tasser. Nous devons devenir plus responsables. Nous allons aussi devoir réguler beaucoup plus. Mais cela ne peut pas se faire à l’échelle d’un pays. Il faut que l’Europe s’entende et soit solidaire, et ce n’est pas gagné.

Cette crise vous a-t-elle ébranlé à titre personnel ?

PG : Nous vivons une période traumatisante à tous les niveaux. Pourtant, nous sommes tous persuadés que l’entreprise est le lieu du lien social et que c’est à ça que l’on mesure la dynamique d’un pays : l’entrepreneuriat, la création d’entreprise. On s’aperçoit en même temps que le statut d’entrepreneur, notamment pour les petites entreprises, est extrêmement précaire. Il fait d’ailleurs partie des catégories professionnelles, avec les agriculteurs, où il y a le plus haut taux de suicide. Dans un cadre pareil, le stress et la pression sont redoutables. Je pense qu’il va falloir inventer des systèmes de protection qui n’existent pas aujourd’hui. Et peut-être des systèmes de solidarité entrepreneuriale à développer.

 

 

 

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