Ils n’ont pas attendu la crise pour apprendre à manager leurs équipes à distance. Dans une interview croisée, Lucile Vareine, responsable communication chez Mozilla à San Francisco, Sylvestre Ledru, Senior Engineering Manager chez Mozilla France, Geoffroy de Lestrange, directeur Marketing EMEA chez Cornerstone on demand, et Quentin Guilluy co-fondateur d’Andjaro livrent à Widoobiz les clés d’une collaboration à distance réussie. Comment piloter la performance de ses équipes à distance ? Comment gérer une crise avec des équipes en télétravail. Eléments de réponses.
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Les nouvelles technologies ont facilité la collaboration à distance, mais pourquoi est-ce une pratique qui nécessite un pilotage particulier ?
Sylvestre Ledru : En France, la culture du présentéisme est très développée. On a l’impression que les gens ne travaillent que lorsqu’ils sont au bureau. Chez Mozilla, on s’aperçoit que lorsque nos collaborateurs sont motivés, le management à distance est relativement simple. Il suffit juste de créer des rendez-vous réguliers avec chacune des personnes dans nos équipes respectives. On utilise des logiciels comme Zoom où la vidéo permet d’avoir un feedback visuel immédiat. Pour les communications plus asynchrones, on se sert de Slack. L’enjeu pour le manager est aussi de savoir organiser le travail à l’aune de cette communication qui peut se faire de manière un peu décalée.
Geoffroy de Lestrange: La collaboration à distance change par nature le type de relations que l’on va avoir avec ses collègues et son manager. Les échanges informels comme les discussions près de la machine à café par exemple disparaissent complètement. Les interactions se font également de manière quasiment asynchrone. On perd ainsi une forme de spontanéité. C’est cet aspect qu’il est important d’essayer de rétablir lorsqu’on travaille à distance. C’est un management qui implique aussi de se concentrer sur l’essentiel du travail : le résultat. Ce ne sont pas les moyens qui sont importants mais la fin. En effet, nous ne sommes pas embauchés pour travailler mais pour atteindre des objectifs. L’enjeu ici est de faire disparaître une forme de micro-management au profit de la confiance envers le collaborateur.
Quentin Guilluy : Dans tout rapport social, le langage non verbal est extrêmement important. La distance empêche de distinguer cette forme de communication, qui est parfois même plus importante que le message. Cela implique des rapports sociaux différents et par conséquent un management différent, ce qui demande des adaptations. Selon moi, il s’agit surtout de savoir créer des interactions qui n’auraient pas été nécessaire à la base, de manière à reconstituer les échanges informels que l’on aurait pu avoir sur le lieu de travail. C’est indispensable pour créer de la coopération
Quelles peuvent être les difficultés rencontrées ?
S.L : Le plus difficile est de ne pas pouvoir lever les non-dits. Il n’est pas toujours facile de savoir comment vont les gens. C’est pourquoi, il est de la responsabilité des managers d’être encore plus alerte. La vidéo est très utile dans ces cas-là.
Q.G: L’information circule un peu moins bien. Au bureau, il suffit de lever la tête de son ordinateur pour le partager avec son équipe. Travailler à distance implique de devoir créer des créneaux précis pour faire passer de l’information, de ce fait si l’on oublie quelque chose, le message ne passera pas avant la prochaine interaction. Ça réduit grandement la culture de l’informel.
GdL : En effet, le côté informel peut s’avérer difficile à transposer, ce qui multiplie les risques d’isolement. C’est la raison pour laquelle garder le contact est indispensable.
Comment gérer une crise à distance ?
Q.G : il faut à tout prix ritualiser son management, instaurer des moments où tout le monde doit être là. C’est nécessaire. Cela peut prendre différentes formes . Avec mon équipe, on échange tous les matins autour d’un petit-déjeuner. Mais sans aller non plus dans le micro-management. En effet, Il ne faut pas manager à la tâche mais à l’objectif. Il s’agit surtout de responsabiliser ses collaborateurs sur le résultat et pas sur le moyen. Sans que cela les empêche de demander de l’aide en cas de difficulté. C’est pourquoi le lien de confiance est essentiel. Il faut aussi pouvoir dédramatiser l’échec et libérer la parole horizontale, auprès de ses pairs et son management. Demander du feeback plus régulièrement
GdL : Il est important de remettre l’aspect humain au premier plan. Aujourd’hui, plus que jamais, il est indispensable de garder les liens. Il faut passer des appels à son équipe, pas forcément pour parler boulot, mais pour prendre des nouvelles de son équipe ou ses collègues. Nous vivons une situation dans laquelle il faut être beaucoup plus compréhensif et tolérant. Le mot-clé ici c’est la transparence. Le manager doit être clair sur les objectifs à atteindre et les délais tout en étant à l’écoute des situations de ses collaborateurs. Il faut aussi que le collaborateur se sente assez en confiance pour partager avec lui sa situation personnelle. On doit également essayer de se concentrer sur l’essentiel, ce qui compte réellement : la tâche, le projet, l’objectif … L’enjeu est également de maintenir une forme de normalité. A distance, il est aussi possible d’avoir des échanges professionnels, avec des tâches à accomplir, des délais… Sans pour autant tomber dans le micro-management car cette pratique ne marchera pas non plus et la relation de confiance en pâtira certainement. Une crise peut également permettre à une entreprise de se transformer grâce à la formation. Il ne faut pas hésiter à encourager les collaborateurs qui ont du temps à en profiter pour acquérir de nouvelles compétences. La formation y joue un rôle clé.
Lucile Vareine : la culture d’entreprise joue un rôle majeur dans la gestion de crise. Il n’y a pas de solution qui va satisfaire tout le monde mais c’est pourquoi il est important pour chacun de communiquer. Expliquer à leur collègue où ils en sont pour avoir un certain degré de clarté et transparence afin que les attentes soient gérées au mieux. Il faut essayer d’introduire un maximum de flexibilité au management. Il est important pour les managers d’essayer de décharger leurs employés de la pression qu’ils se mettent parfois à vouloir montrer qu’ils sont présents et actifs. Donner le temps de trouver un rythme qui fonctionne pour eux. Plus on mettra de pression avec des objectifs qui ne seront pas en adéquation avec la situation actuelle, moins il sera facile pour eux de retomber sur leurs pattes.
Quelles sont les règles d’or de la collaboration à distance ?
Q.G : La culture du feedback est capitale. Mais plus encore, il faudrait selon moi aussi exagérer de 30% toutes les bonnes pratiques de management : surcommuniquer, positiver quand on reçoit une mauvaise nouvelle. Il ne faut pas hésiter à féliciter encore plus.
Lucile Vareine : Pour ma part, la confiance est essentielle. Il est important de comprendre que nos collaborateurs et collaboratrices sont des professionnels et que c’est la raison pour laquelle nous les avons embauchés.