Alors que nous avions fébrilement tenu notre vie à bout de bras la première semaine de confinement, la perspective de cinq supplémentaires semble apocalyptique. Alors allons-nous tous perdre les pédales pendant cette quarantaine ? La psychologue en formation Hana Lévy-Soussan s’est penchée sur la question.
Travailler à la maison, avec ses enfants, sans pouvoir sortir… est ce qu’on va tous devenir fous ?
Hana Lévy-Soussan : On peut croire en effet que cette situation peut nous rendre « fous ». Ce qui est compliqué dans ce que nous vivons en ce moment, c’est que l’espace de la vie publique – ce qui touche au professionnel – et celui de la vie privée – ce qui touche à la famille – viennent se mélanger pour ne faire qu’un. Normalement, quand on travaille, on se rend du lundi au vendredi au bureau. Il y a un déplacement physique et un espace de travail. D’un autre côté, quand on est avec ses enfants, ça se passe quand on est chez soi. C’est la première fois où ces deux espaces fusionnent pour devenir les mêmes. De la même manière, au niveau temporel, le travail a lieu dans un créneau limité, de 9h à 19h. Et quand on rentre à la maison, c’est le temps de la famille. Ce qui peut rendre fou, en fait, c’est cette confusion, ce chaos qui est mis en place par le fait que tout se passe dans le même espace, dans le même temps, dans la même journée et qu’en plus on ne peut pas sortir, on est confiné. On n’a plus les frontières c’’est une confusion spatio-temporelle de nos vies.
« Il faut se créer des des frontières spatio-temporelles. Par exemple, de 10 à 12h vous travaillez, et de 12 à 14 heures, vous vous occupez des enfants. »
Alors comment faire pour essayer de s’en sortir ?
HLS : Il faut se souvenir de ceci : c’est le flou qui rend fou. Et pour sortir de ce flou, il faut dessiner de réelles délimitations spatio-temporelles. Quand on a le luxe d’avoir l’espace de créer des frontières physiques, on peut choisir un lieu clair pour travailler, et un lieu différent pour s’occuper de ses enfants. Il faut aussi créer de vraies frontières dans le temps. Par exemple, de 10 à 12h vous travaillez, et de 12 à 14 heures, vous vous occupez des enfants.
Certaines personnes témoignent de leur détresse en disant quand elles essaient de travailler elles sont leurs enfants dans les pattes, et quand elles essaient de s’occuper de leurs enfants, elles ont toujours un truc à faire pour le travail. Du coup, elles ne font rien de bien, tout est flou. D’où la nécessité de mettre des frontières claires. Ceux qui n’ont pas assez d’espace, qui vivent dans un studio par exemple, dites-vous : quand j’ouvre mon ordinateur, c’est que je travaille, quand je le ferme, je passe à autre chose. Il faut trouver des distinctions pour que ce soit clair, que ce soit pour soi ou pour les autres. Mettez en place des rituels : se réveiller le matin, prendre sa douche, s’habiller… Ne faites pas de télétravail en pyjama car c’est là que l’espace public et privé se confondent.
Quel poids ce confinement a-t-il sur notre mental ?
HLS : Il y a un réel risque d’être surmené et dépassé par la situation. En effet, ceux qui travaillent et ont des enfants à la maison font deux travaux à temps plein : leur job, et l’éducation de leurs enfants. On peut donc comprendre les cas de burn out que cette situation peut causer. Comme toute crise, ce qui est difficile, c’est le passage d’un état à un autre. On passe d’une vie dans laquelle on était installés, dans laquelle on a nos habitudes. Et d’un coup, on doit passer à un mode de vie complètement différent, désagréable, inconfortable. C’est la transition qui va s’avérer difficile, car on perd ses repères, on ne sait pas comment gérer. Mais plus le temps va passer, et plus on va s’accommoder à cette situation, trouver un cadre, gérer ses frontières. Je veux rassurer les personnes qui ont peur de ne pas tenir : on ne se rend pas compte de notre capacité d’adaptation à une situation. Les adultes comme les enfants, on s’adapte beaucoup plus qu’on ne le croit. On est beaucoup plus capables qu’on ne le pense. Dans des situations d’urgence on arrive à mobiliser des ressources que l’on ne connaissait pas avant une crise.
« Cette crise est venue réveiller chez tout le monde des choses, les pires, mais aussi les meilleures. »
Que faire si on est déjà en train de craquer ?
HLS : Tout d’abord, il faut se rassurer sur le fait que c’est normal de « craquer », de se sentir débordé et que ce n’est pas un signe de faiblesse. Une crise est par nature déconcertante et peut être traumatisante. C’est la raison pour laquelle autant de cellules psychologiques sont mises à disposition gratuitement pour aider toutes les personnes dépassées par la situation, car elles sont évidemment nombreuses.
Va-t-on pouvoir revenir facilement à notre vie d’avant ?
HLS : L’objectif n’est pas de revenir à notre vie d’avant. Cette crise va forcément changer notre vie, et il va y avoir un avant et un après. Après une telle expérience de confinement, il va être impossible de reprendre notre vie d’avant comme si rien ne s’était passé, et heureusement, car depuis nous avons vécu. Cette crise est venue réveiller chez tout le monde des choses, les pires, mais aussi les meilleures. La question est comment venir à notre vie d’après ? Comment gérer cette transition ? Car c’est la transition qui va être difficile à gérer. Comment se réorganiser après toute cette désorganisation. L’objectif est donc de reconstruire une vie, en prenant en compte la vie d’avant, en prenant en compte cette période de confinement, et en faire une synthèse, un dépassement.