Bon samaritain ou entrepreneur futé ? À seulement 23 ans, Martin Besson veut changer le monde en commençant par ce qui se passe en bas de chez lui. Son arme : Sans A_, un média qui crée du lien avec les personnes SDF. Un défi ambitieux pour cet autodidacte qui a sauté toutes les étapes.
D’abord une cigarette, puis un coca, puis une autre cigarette… Attablé à la terrasse d’un café parisien, Martin Besson prend son temps. À 23 ans, le fondateur et président de Sans A_ a lancé son projet il y a déjà cinq ans : un site hybride entre média et plateforme d’action sociale. Concrètement, Sans A_ offre à ses lecteurs la possibilité de réaliser les rêves de personnes sans domicile fixe, à l’instar de Philippe, qui souhaite rencontrer Patrick Sébastien, aller à l’Opéra Garnier et jouer à des jeux de société.
Pourtant, au premier coup d’œil, Martin Besson a plus des allures de timide premier de la classe que d’intrépide créateur d’entreprise. La faute, sûrement, à son visage juvénile. Mais il suffit de quelques minutes en sa compagnie pour casser cette image trop lisse. Car Martin a un avis sur tout et un avis tranché. Que ce soit sur l’écosystème entrepreneurial : « Le côté bullshit startup nation, c’est un peu n’importe quoi ». Sur les médias : « les journalistes ne travaillent pas assez sur la diffusion des contenus ». Ou sur l’univers associatif : « Trop de militantisme empêche d’avancer ». Le jeune homme passe d’un sujet à l’autre sans transition. Un flot de parole constant, révélateur de sa personnalité (hybride elle aussi) à la fois fragile et confiante.
« Il y a toujours un intérêt personnel à faire une bonne action »
De la confiance, il en a fallu pour lancer son projet à 18 ans. Et avec son idée de sortir les personnes sans-abris de l’ombre, Martin a tout du bon samaritain. Pourtant, ce dernier refuse cette étiquette. « Je ne suis pas altruiste, je ne crois d’ailleurs pas que cela existe, car il y a toujours un intérêt personnel à faire une bonne action, assène-t-il tranquillement. Même Mère Theresa et l’abbé Pierre n’étaient pas altruistes », poursuit-il, conscient de frapper fort avec cette affirmation. « Saluer un SDF le matin, ça fait du bien à la personne en face, mais ça fait aussi du bien à celui qui prend le temps de dire bonjour », conclut le créateur de Sans A_.
Pour réussir, Martin s’est investi corps et âme dans son projet. À tel point que quand on lui demande quelle est la plus grande difficulté qu’il ait rencontrée, il répond sans hésiter : le temps. « C’est horrible, j’ai une liste de tâches à accomplir qui ne fait que se rallonger. Je jongle tout le temps entre les rendez-vous. Les mauvaises semaines, je peux en faire 25 facilement. Du coup, je deviens aigri, irascible, arrogant, en un mot : insupportable », confie-t-il.
« Métro, boulot, dodo : très peu pour moi »
Pour ne pas perdre pied, il prend alors une décision. Il ne travaillera plus le week-end. Ces deux jours deviennent un sas de décompression pendant lequel il peut s’accorder des petits plaisirs : jouer aux jeux vidéo (il a fini Red Dead Rédemption en quelques jours), sortir avec ses amis, écouter les Spice Girls et surtout rencontrer de nouvelles personnes. Car s’il y a une chose qui résume bien Martin Besson, c’est sa capacité surprenante à aller vers les autres. « Je ne comprends pas pourquoi les gens ont peur de parler à un inconnu. Que peut-il se passer de si grave ? », s’interroge-t-il. Et pour joindre le geste à la parole, il se tourne vers un homme, installé à la table voisine. Ce dernier écoute depuis plusieurs minutes notre conversation. Il ne faut que quelques instants pour que les deux hommes se présentent, s’ajoutent sur LinkedIn et se promettent de s’organiser un déjeuner.
Cette gouaille, cette confiance en lui, c’est sûrement ce qui a été fatal aux études secondaires de Martin Besson. Après avoir fait trois collèges et trois lycées différents, le verdict est clair : « Martin a un gros potentiel, mais Martin pose trop de questions ». Une remarque qui hérisse les poils de cet autodidacte qui a tout de même réussi à décrocher haut la main un bac pro vente, grâce à son talent de négociateur. « On dit souvent que le monde du travail c’est la jungle, mais c’est faux, c’est l’école qui est une véritable jungle », martèle-t-il. Et comme quand il était à l’école, Martin Besson refuse de rentrer dans le moule du monde du travail. « Métro, boulot, dodo : très peu pour moi. C’est très simple, tout ce qui m’ennuie, je ne le fais pas. »
« Qui a dit que pour réussir il fallait faire une startup ? »
En devenant président-fondateur de son entreprise à 18 ans, Martin Besson s’est mis une lourde charge sur le dos. Un poids parfois écrasant pour le jeune homme qui supporte mal la vision du monde étriquée que peuvent avoir les autres entrepreneurs du secteur. « Qui a dit que pour réussir il fallait forcément faire une startup ? Toutes les boîtes se définissent ainsi, alors qu’une jeune pousse, c’est une nouvelle société qui affiche une croissance très rapide. Point. Chez Sans A_, même si nous proposons une innovation, nous sommes une ‘nouvelle entreprise’ et pas une startup », déroule-t-il.
Aujourd’hui, Martin Besson est à la tête d’une équipe de sept personnes. Une responsabilité prise au sérieux par le jeune patron. « Le management n’est pas inné pour moi. C’est dur d’essayer de ressentir ce que pense les autres, je ne suis pas omniscient », admet-il. Pour pallier cette faille, il a tout simplement écouté les conseils de ses collègues et a engagé une coach pour l’aider à s’améliorer.
Bon partout mais ne se sentant à sa place nulle part, Martin Besson ne trouve satisfaction que dans le changement d’attitude des gens. Moins de préjugés, plus d’écoute, plus de générosité… Autant de conséquences positives qu’a eu Sans A_ sur ses lecteurs. Alors quelle place pour Martin ? Peut-être celle qu’il s’imaginait occuper dès la maternelle : président de la République.