Mandataires, juges et procureurs peuvent jalonner le parcours d’un patron confronté à l’échec. Pour saisir et prendre en charge la souffrance des dirigeants contraints de stopper leur activité, l’APESA forme le personnel judiciaire. Surtout, elle propose un soutien psychologique aux patrons en détresse.
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Marc Binnié est l’un de ceux qui voient des patrons abattus échouer à la barre du tribunal de commerce. Ce greffier, basé à Saintes en Charente-Maritime depuis 25 ans, est confronté à des chefs d’entreprise en situation de grande détresse. Mais le temps judiciaire n’est pas celui de la compassion.
Néanmoins, hors de question pour cet homme épris de justice d’être indifférent à la souffrance de celles et ceux qu’il rencontre sur le chemin des tribunaux. C’est face au devoir de réserve de la justice que Marc Binnié a fondé l’APESA (Aide Psychologique pour les Entrepreneurs en Souffrance Aiguë) avec le psychologue clinicien Jean-Luc Douillard. « Nous ne remettons pas en cause la fonction de la justice, mais nous l’humanisons un peu plus », précise le greffier.
Les deux professionnels sont partis d’un triste constat. De l’huissier qui vient frapper à la porte aux convocations des instances judiciaires en passant par une vie familiale potentiellement chahutée, la ruine peut être professionnelle bien sûr, mais aussi sociale et personnelle pour un patron contraint de stopper ses activités. Épuisement physique et moral, surmenage, oubli de soi, idées noires voire suicidaires sont autant de maux pouvant affecter un chef d’entreprise en situation d’échec.
Former des lanceurs d’alerte pour aider les patrons en détresse
Depuis septembre 2013, l’APESA est venue en aide à plus de 1.500 dirigeants. Pour détecter les patrons en souffrance, l’association forme les professionnels de la justice. Ces derniers deviennent alors les ‘sentinelles’ de cette institution, et sont d’ailleurs aujourd’hui plus d’un millier sur tout le territoire.
Pour passer à l’action, il suffit aux lanceurs d’alerte de remplir une fiche. Cette dernière déclenche automatiquement une prise en charge psychologique de la personne signalée. Une structure nantaise, la RMA (Ressource Mutuelle Assistance) réceptionne la fiche et rappelle très rapidement le patron en situation de mal-être plus ou moins profond. Le but de ce premier échange ? Évaluer son niveau de détresse et poser un diagnostic en vue de l’aider dans les meilleurs délais. Gratuit pour le dirigeant épaulé, le dispositif est bien sûr déclaré à la CNIL, en respect total du RGPD.
« La souffrance au travail est surtout envisagée à l’échelle du salariat »
Face aux quelque 50.000 dirigeants qui perdent leur emploi chaque année*, l’association a pour maître mot la sensibilisation. Dans cette optique, elle donne de nombreuses conférences auprès des chefs d’entreprise sur tout le territoire. Membre du Portail Rebond, elle s’entoure de partenaires privés, ainsi que des CCI, chambres des métiers et tribunaux de commerce.
Ensemble, ils souhaitent briser le tabou selon lequel un patron en détresse ne peut communiquer son mal-être et se doit d’afficher son assurance et sa détermination en toutes circonstances. « La souffrance au travail est surtout envisagée à l’échelle du salariat », note Marc Binnié. Et si l’on ajoute à ce constat le paradigme selon lequel entreprendre est bénéfique pour soi et sa santé, « l’échec peut perdurer au point d’atteindre l’entrepreneur personnellement », affirme le greffier pour qui « l’entrepreneur est définitivement un travailleur comme les autres. »
* 50.011 dirigeants ont perdu leur emploi en 2017, selon l’Observatoire de l’emploi des entrepreneurs