Le supermarché du futur sera-t-il déshumanisé ? L’essor des offres digitales et la disparition progressive des caisses interrogent. Si la machine ne remplacera pas totalement l’Homme, elle va, en tout cas, considérablement modifier son rôle dans la grande distribution. Nous sommes allés à la rencontre d’une caissière pour avoir son point de vue sur la question.
En finir avec les files d’attente interminables pour régler ses achats, telle est la promesse de Jeff Bezos qui a inauguré en début d’année son premier magasin connecté, Amazon Go. Ici, point de caisses, mais de simples bornes à l’entrée du magasin, sur lesquelles il suffit de passer son smartphone pour s’identifier et accéder aux rayons. Un ensemble de caméras et de capteurs reconnaît les articles que vous ajoutez à votre panier, et vos achats sont ensuite automatiquement débités sur votre compte Amazon.
La concurrence se met au diapason en développant son offre digitale
Basé à Seattle et, pour l’instant, unique au monde, ce supermarché pourrait bien révolutionner le secteur. Si un déploiement plus important du concept n’a pas encore été annoncé, la concurrence commence néanmoins à s’y préparer. Ainsi, Monoprix a lancé MonopEasy dans quelques magasins de région parisienne, en partenariat avec la startup Snapp’. Grâce à une appli d’encaissement, le client scanne un à un ses articles avec son téléphone, et n’a plus qu’à appuyer sur le bouton « payer » pour régler ses achats.
De son côté, Carrefour vient de signer un partenariat avec Google afin d’accélérer sa transition numérique. L’ensemble de ses collaborateurs sera formé à la culture digitale et, dès 2019, les consommateurs pourront commander leurs achats à la voix grâce au Google Home. Le groupe Leclerc, jusqu’alors absent de la capitale, a développé un service de livraison à domicile en 24 heures aux tarifs très compétitif ; et Auchan s’est associé au chinois Alibaba pour développer son offre alimentaire « phygitale ».
« Pour certaines personnes, faire les courses […] est une façon de maintenir du lien social »
Même du point de vue des employés, le changement semble inévitable. Pour Aminata, caissière dans un Carrefour de Villeneuve-la-Garenne, « le digital fait partie du quotidien des gens, donc c’est sûr que ça va faire partie des magasins aussi ». L’enseigne où elle travaille s’est d’ailleurs déjà mise à l’heure du numérique : l’application « C-où » permet de localiser un produit dans la grande surface et de connaître sa composition ; la section textile est équipée de miroirs connectés et des bornes jalonnent les rayons pour lister les promos en cours, donner des idées de recettes ou aider à choisir son vin. Quant aux caisses, elles sont toutes équipées d’une machine qui rend la monnaie automatiquement. « En tant que caissière, on ne manipule plus du tout l’argent. Ça permet de se concentrer sur la relation clients ».
Et si, en dépit de toutes ces innovations, vous peinez à trouver une info, vous pouvez toujours appeler un membre du personnel. « Quand t’as besoin de renseignements, parfois ça va quand même plus vite de demander à quelqu’un », souligne Aminata. « D’ailleurs, il y a toujours un employé près des caisses automatiques, afin de les débloquer en cas de problème ». Pour la jeune femme, l’idée d’un magasin 100 % digitalisé relève plus d’un « effet waouh » que d’une véritable habitude. Elle précise également que « les personnes âgées n’aiment pas tout ce qui est digital, il faut donc garder du personnel ». D’autant que le relationnel est, lui aussi, important. « Pour certains, faire les courses, c’est leur petite sortie de la journée. Ils discutent 10 min avec toi à la caisse… c’est leur façon de maintenir du lien social ».
Digitaliser les points de vente : une nécessité pour leur survie
Il semble que, si les consommateurs souhaitent plus de rapidité et de praticité, tous ne semblent pas prêts à faire leurs courses dans un magasin 100 % connecté. Cela reviendrait à priver une partie de la population de sa part d’interactions sociales. Pour les supermarchés eux-mêmes, développer une prouesse technologique aussi poussée qu’Amazon Go semble compliqué d’un point de vue économique, au regard de leurs faibles marges. En outre, supprimer totalement les caisses aurait un fort impact sur l’emploi, et provoquerait sans doute une vive réaction de la part des acteurs sociaux – en particulier dans l’hexagone.
Mais on ne peut nier que le numérique fait désormais partie intégrante de nos vies, et les générations Y et Z sont habituées à toujours plus d’instantanéité. Digitaliser les points de vente semble alors indispensable pour permettre à la grande distribution de survivre. Dans ce contexte, la machine doit venir soulager les employés de certaines tâches répétitives, enrichir l’expérience client et développer la performance commerciale. Une transition numérique qui ne peut s’opérer que de manière progressive, et moyennant une formation du personnel aux outils digitaux. Le vendeur de demain sera donc un agent polyvalent, capable de conseiller ses clients comme de l’aiguiller vers de nouvelles expériences d’achat.