Si les freins principaux à la création d’entreprise par les femmes résident dans le manque de confiance, de légitimité et d’exemples, il semblerait que l’obstacle majeur au développement des TPE dirigées par des femmes soit celui d’oser parler d’argent et de faire du business ensemble.
« Et vous, vous arrivez à vivre de votre activité ? » – « Euh… Pas encore mais c’est normal, j’ai démarré récemment, il y a un an et demi seulement … Et je fais ce que j’aime, c’est le plus important. »
Dans les réseaux féminins, nous entendons tellement de témoignages pudiques et similaires lors des rencontres collectives entre entrepreneures de TPE. En tête à tête, ces mêmes « cheffes » d’entreprise s’avouent souvent moralement épuisées, car elles ne s’en sortent pas financièrement avec leur entreprise. Elles arrivent facilement à donner des coups de main, à s’entraider. Mais parler business est beaucoup moins évident.
Les tabous de l’argent et du business chez les entrepreneures de TPE sont réels et conséquents.
Il y a quelques mois, nous avions diffusé auprès d’un groupe restreint un questionnaire sur le montant du chiffre d’affaires que ces futures entrepreneures aimeraient par la suite réaliser. Le résultat était édifiant : 1000 euros par mois en moyenne. Il paraît impensable pour un homme de viser un tel chiffre d’affaires pour son entreprise.
Nous avons donc cherché des études ou des chiffres sur le salaire moyen dégagé par les entrepreneures TPE et réalisé à quel point ce sujet est peu (pas ?) traité et étudié. Seul chiffre trouvé, les femmes indépendantes ou dirigeantes salariées d’entreprises gagnent 31% de moins que les hommes, avec un revenu d’activité mensuel s’établissant en 2012 à 2.020 euros contre 2.915 euros pour les hommes (source : Insee). Cet indicateur, déjà révélateur, concerne toutefois les entreprises de toutes tailles. Quid des TPE ? Combien d’entre elles vivent réellement de leur activité ?
Pourquoi argent et business semblent-ils être si tabous pour nous ?
Bien sûr, le poids immense de l’histoire est le même pour toutes. Il a fallu attendre 1965 pour qu’une femme puisse ouvrir librement un compte en banque, sans demander l’autorisation de son mari. Et 1966 pour travailler sans l’accord de son mari. De plus le salaire d’une femme était globalement perçu comme salaire d’appoint, non fondamental pour la famille. De fait, les clichés pèsent encore lourdement sur l’inconscient collectif et la notion même de liberté financière est très récente, quel que soit le statut occupé.
Chez les salariés, l’écart de salaire entre hommes et femmes est encore de 19% en moyenne (Insee) et à secteur d’activité, âge, catégorie socioprofessionnelle et condition d’emploi (temps complet ou temps partiel) donnés, l’écart de salaire reste légèrement inférieur à 10 %.
43% des créatrices lancent leur entreprise avec moins de 4 000€
Dans le domaine des startups, en 2016, les femmes ont levé 126,6 millions d’euros en France. Si le montant est en hausse par rapport à 2015 (+84%), cela ne représente que 7% du montant total.
Pour les entreprises, 43% des créatrices lancent leur entreprise avec moins de 4 000 euros contre 35 % des hommes ( Ministère du travail 2008).
Face aux déficits de trésorerie, de capitaux, de salaire, face à la difficulté d’oser parler d’argent plus globalement, il y a souvent un socle commun constitué de manque de légitimité et de vision négative de l’argent.
Il semble effectivement plus difficile pour une femme d’oser mettre de la valeur sur soi, sur son entreprise et donc de voir grand. Il prédomine aussi une grande culture du don de soi, ce qui sous-entend de ne pas mériter d’être rémunérée. Avoir l’ambition de gagner de l’argent peut aussi être perçu comme bassement vénal et donc socialement peu respectable.
J’ai entendu à plusieurs reprises « Mais, en fait, elle est intéressée par l’argent ! »
Au sein des réseaux, nous commençons à évoquer l’argent différemment. À le présenter comme une énergie qui donne la capacité d’agir et permet de développer son plein potentiel. En modifiant notre vocabulaire par rapport à l’argent, en lui donnant du sens, nous avons le sentiment que cet apriori négatif évolue.
Au-delà des freins propres aux femmes, pèse aussi le regard de la société. Être à la tête d’une association apparaît toujours louable pour une femme. En revanche, créer une entreprise que l’on souhaite d’envergure est encore parfois regardé de travers. J’ai entendu à plusieurs reprises « Mais, en fait, elle est intéressée par l’argent ! », là où un homme aurait été encouragé pour son ambition et sa vision.
Il nous appartient donc à toutes et tous d’être conscients de ce poids collectif et de nous questionner sur notre rapport à l’argent et la vision que l’on transmet autour de soi et notamment aux femmes de notre entourage. L’argent n’est certes pas une fin en soi, mais bien un outil indispensable pour acquérir autonomie et liberté financière.
Oser parler d’argent est aujourd’hui le dernier plafond de verre à transpercer par les entrepreneures pour développer leur business et leur potentiel. Cette réalité, difficile à percevoir quand on n’y est pas soi-même directement confrontée, doit aujourd’hui être mesurée afin de comprendre l’ampleur du chemin qu’il reste à parcourir.
« What you don’t (or can’t) measure is lost” – H. Thomas Johnson.
Bonjour et merci pour votre excellent article qui décrit bien ce que j'appelle l'ambition "endormie" des femmes entrepreneures et les freins auxquels elles se heurtent dès qu'elles cherchent à la réveiller.
Par Edith Manent, le 29 avril 2019
Ce plafond de verre saute petit à petit ! :)
Par Rémy Bigot, le 29 avril 2019