Jean Jaurès a marqué la France par son verbe et sa force de conviction. Il est temps d’apprendre sa méthode.
Il est ce que l’on appelle un monument national. De droite comme de gauche, Jean Jaurès remplit les discours des hommes politiques. Il faut dire, l’homme politique traverse les époques et les clivages politiques. Homme de paix pour les uns, il reste aussi un modèle de rhétorique politique. « Quand il voyage pour soutenir un candidat de son parti, Jean Jaurès est capable de réunir près de 150 000 personnes », comme l’explique Yann Harlaut, co-auteur avec Yohann Chanoir du livre de « Convaincre comme Jaurès » aux éditions Eyrolles.
L’occasion pour les entrepreneurs de revenir sur un homme qui a su marquer son siècle.
« C’est en allant vers la mer que le fleuve reste fidèle à sa source »
Jean Jaurès, c’est d’abord une métaphore. « Il démarre souvent ses discours en jouant sur les sensations de son public », explique Harlaut. À Toulouse, il va parler des « pierres roses », du « soleil » que les habitants connaissent. Dans un autre discours, il compare les ouvriers au semeur et la guerre, au « cheval d’Attila ».
Ainsi, de la bourgeoisie au prolétariat, Jaurès réussit à regrouper dans sa verve, tant la bourgeoisie que le prolétariat.
« Comment vous irez au combat […] si votre action est d’un côté et vos formules de l’autre, s’il y a perpétuellement entre l’action et le mot […] une contradiction mortelle ? »
À l’heure où la télévision et la radio n’existent pas encore, l’homme politique se doit d’être un orateur. Et Jaurès en était un. « C’était un showman », assure Harlaut. Il avait la capacité d’aligner son esprit, son corps et ses jambes. Autrement dit, d’insuffler une véritable conviction dans ses discours. D’ailleurs, « ce qu’il dit, il le fait ».
Il s’oppose au licenciement de syndicalistes à la verrerie de Carmaux ? Une scop ouvre grâce son aide ; il est contre la guerre qui se prépare ? il lance une pétition internationale des travailleurs contre la guerre qui se prépare.
Jean Jaurès ne laisse jamais sa parole se démonétiser. Une règle qui s’impose encore aujourd’hui à tous les niveaux de management.
« Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel »
À la différence des hommes et des femmes politiques d’aujourd’hui, Jaurès ne transmet pas un message, mais une idée. « Il ne s’autocensure pas », assure l’auteur. Il fait tout pour emmener son public avec lui.
Opposé à l’extrême à ses idées, Maurice Barrès dit pourtant à propos de Jaurès : « La marque d’un orateur selon mon gré, c’est de hausser le débat ! Non pas d’apporter une harangue académique, mais de savoir ce qui est la question et sans la lâcher de partir du terrain de tous pour élever la journée ».
L’anaphore
Jean Jaurès a depuis créé des fidèles. Grand admirateur de Jean Jaurès, François Hollande a repris lors du débat d’entre deux tours en 2012, une de ses techniques oratoires les plus efficaces : l’anaphore. « Moi président, je… ». Encore aujourd’hui, on se souvient de la sortie de l’actuel président.
Il marque le coup et élève son auditoire. En voici un exemple :
« Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir, mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques. »
On imagine l’impact devant une foule ébahie. Autant dire qu’à défaut de connaître son œuvre, les entrepreneurs ont intérêt à s’inspirer de son charisme verbal. Ils n’ont rien à perdre.
Tancrède Blondé