Tout le monde a entendu parler de Beghin, plus connu aujourd’hui sous la marque de sucre Beghin-Say. En revanche, peu d’entrepreneurs de moins de 40 ans connaissent la descente aux enfers d’un groupe familial qui a détruit en l’espace de 15 ans, l’œuvre de trois générations d’entrepreneurs.
Tout commence en 1821. Comme de nombreux paysans du Nord de la France à l’époque, Joseph Coget a construit une petite sucrerie dans sa ferme. Rien ne change jusqu’à l’arrivée de Ferdinand Beghin qui cherche à accroître la production. Un rêve qui sera réalisé par ses enfants, Henri et Joseph, par la construction d’une énorme raffinerie à Thumeries en 1898. La production ne tarde pas à s’emballer. Résultat, l’entreprise grandit et rachète ses concurrents pour devenir un des leader Français de production de sucre. Dès 1926, les Beghin décident alors de se lancer dans le carton et, plus globalement, l’industrie papetière. Une diversification qui les pousse à acheter plusieurs journaux afin de multiplier les débouchés. Autrement dit, tout va pour le mieux.
Un succès indéniable…
Et ça continue avec la génération suivante ! Successeur désigné, Ferdinand Beghin continue l’œuvre de ses aïeux. Et ce, toujours avec les mêmes méthodes: rachat de concurrents, modernisation des usines de production et autofinancement. La réussite est telle qu’il prend le contrôle du Figaro avec Jean Prouvost, un des plus grand patrons de presse de l’époque. A l’époque, Ferdinand Beghin semble inarrêtable. Sous les conseils de son ami et banquier Jean-Marc Vernes et aussi parce que l’autofinancement ne suffit plus, Ferdinand Beghin introduit la société en bourse en 1956. Désormais, Beghin peut partir à la conquête du monde : achat d’usines en Finlande, au Maroc, en Uruguay. Le tout en continuant à diversifier ses activités. En 1962, il prend pied sur un nouveau marché en achetant l’usine de Kaysesberg qui produit des mouchoirs en papier et des produits d’hygiène. Tout semble aller pour le mieux.
…mais qui peut faire tourner la tête
Ce qui se révèle être une apparence. Car, de son propre aveu, Ferdinand Beghin dirige le groupe « comme un maître absolu, un dictateur ». Rien ne l’en empêche, tant que les chiffres sont au rendez-vous. Ce qui est le cas à l’époque. Mais, comme tous les autocrates qui ont connu des succès, Ferdinand Beghin n’accepte plus qu’on puisse remettre en question ses décisions. Surtout, celles qui viennent de sa propre famille. À tel point que lorsqu’il décide – toujours contre l’avis de sa famille – de fusionner en 1972 avec son principal concurrent, le groupe sucrier Say, il n’hésite pas à les écarter et fait appel aux banques Suez et Vernes. Fusion qui profite à cette dernière. La banque Vernes devient actionnaire du nouveau groupe Beghin-Say alors que les autres membres de la famille vendent massivement leurs actions.
Une leçon pour les autres entrepreneurs
Et là tout s’enchaîne. Lancée au moment de l’effondrement du prix du sucre, le lancement de la dernière sucrerie de Connantre en Champagne est un désastre financier. Il n’en fallait pas tant pour que les investisseurs lâchent Ferdinand Beghin. Meurtri, il laisse la place à Jean-Marc Vernes qui revendra, cinq ans après à une société Italienne en 1982. Aujourd’hui démembré, Beghin reste le symbole d’une aventure entrepreneuriale à la Française. Mais les prises de risque inconsidérées de Ferdinand Beghin ont fait chuter une entreprise qui aurait très bien au XXI ème siècle avoir l’ampleur d’un groupe comme Danone. Que les entrepreneurs et dirigeants de PME s’en souviennent.
Tancrède Blondé