Internet en entreprise : quand la vie privée s’introduit dans la vie professionnelle

Internet en entreprise : quand la vie privée s’introduit dans la vie professionnelle

Publié le 11 mai 2012

Présent dans nos ordinateurs et maintenant dans nos poches, le web est partout. Dans la sphère privée, mais aussi dans la sphère professionnelle, ce Big Bang numérique soulève certaines problématiques.
Et particulièrement sur le lieu de travail, les nouvelles technologies contribuent à brouiller la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Au point que l’on ne parvient plus à trouver un équilibre entre droits des salariés et droits de l’employeur. L’employé peut-il surfer librement sur le web à des fins personnelles ? L’employeur peut-il « cybersurveiller » les connexions de ses salariés ?

Les obligations pour l’employeur

L’arrêt de la Cour de Cassation du 9 juillet 2008 prévoit que « les connexions établies par un salarié sur des sites Internet pendant son temps de travail […] sont présumées avoir un caractère professionnel ». Mais n’est-ce pas utopique de penser une censure totale par l’employeur de l’utilisation d’Internet par ses salariés à des fins personnelles ? Peut-être bien. Pourtant, la CNIL reconnait qu’en pleine ère du numérique et du digital il parait bien compliquer d’interdire absolument l’usage du web à des fins autres que professionnelles. L’usage d’internet attribué alors, en principe, à des fins professionnelles bascule vers une naturalisation et une normalisation de son utilisation à des fins privées. L’employeur peut donc difficilement empêcher complètement l’accès à Internet à un usage personnel.
Selon l’arrêt Nikon de 2001, le salarié a le droit à une vie privée sur le lieu de travail. De quoi arranger nos affaires… Ces antagonismes seraient-ils entrain de s’estomper ? C’est la direction qui définit alors les conditions de l’utilisation d’internet tant que celles-ci n’affectent pas la vie privée des salariés. Il peut ainsi installer des dispositifs de traçage pour contrôler les connexions, des dispositifs de filtrage de sites non autorisés, etc.
L’entreprise est ainsi sujette à plusieurs obligations. Elle doit, au préalable, en référer au salarié quant à la finalité du dispositif de contrôle mis en place et la durée pendant laquelle les données de connexions seront conservées. En effet, selon l’Article L1221-9 du Code du Travail : « Aucune information concernant personnellement un salarié ou un candidat à un emploi ne peut être collecté par un dispositif qui n’a pas été porté préalablement à la connaissance du salarié ou du candidat à un emploi ».
Si des procédures disciplinaires peuvent être engagées contre les employés, ils doivent en être explicitement avertis via une charte Internet précisant les modalités d’utilisation du web. Dans le cas où le contrôle des connexions se fait individuellement pour chaque salarié, la société doit déclarer ce dispositif à la CNIL, sauf si un correspondant informatique et libertés a été désigné. De plus, l’employeur est dans l’obligation d’informer et de consulter le Comité d’Entreprise sur les dispositions qui affectent les conditions d’emploi et de travail.
Concernant le contrôle de la messagerie électronique, et toujours selon l’arrêt Nikon, l’employeur ne peut accéder à la messagerie électronique de l’employé dans le souci du respect de sa vie privée et du secret de ses correspondances privées. Auquel cas, ceci constituerait une infraction sanctionnée par la Cour Pénale, et ce, même si des utilisations à des fins personnelles auraient été interdites par la direction. Cependant, l’employeur peut prendre connaissance des messages émis et reçus par son salarié sans entraver sa vie privée, si ceux-ci ne sont pas identifiés comme étant « personnels ». A défaut, ces messages seraient qualifiés comme étant « professionnels ».
 

Les obligations pour l’employé

L’employeur peut alors autoriser l’utilisation d’internet à un «usage non abusif et raisonnable». Mais un usage raisonnable en rapport à quoi ? Comment savoir où est la limite ? Quand peut-on considérer qu’il y a abus du salarié ? C’est une notion assez floue qui reste difficile à délimiter. Selon le Législateur, la direction doit se baser sur le principe de proportionnalité. L’employé doit faire d’internet un usage raisonnable par rapport au volume de sa charge de travail pour ne pas altérer la productivité de la société. On comprend donc que cette mesure diffère selon les entreprises, et selon la souplesse des supérieurs hiérarchiques. Cependant, les juges restent les seuls interprètes de cet abus. Bon nombre d’affaires ont été amenées devant les tribunaux. Un salarié a déjà été licencié pour faute grave pour s’être prêté à un emploi abusif de la toile à des fins personnelles.
On peut alors se demander si cette notion d’abus se transpose à la nature des sites consultés ? Une question complexe puisque la nature des sites consultés est relative au temps passé sur internet. Prenons un exemple simple. Si l’employé visite des sites web à caractère pornographique, il ne sera pas sanctionné pour la nature du site en soi. L’employeur ne se fait pas arbitre de l’éthique de ses salariés. Cependant, l’employé peut encourir des sanctions pour faute grave pour avoir passé un temps trop important sur ces sites ou encore si les pages consultés sont condamnables ou délictueuses.
Et quand le salarié utilise les réseaux sociaux pour diffuser des informations douteuses sur son employeur ou son entreprise, la jurisprudence se perd. On l’a vu, les polémiques prolifèrent sur l’internet au bureau. Le web perturbe le monde du travail, mais le web 2.0 complexifie davantage la donne. Facebook, Twitter, Viadeo, Linked in, les réseaux sociaux captent toute notre attention. Dur d’y échapper. Et ce n’est pas les entreprises qui diront le contraire. Les propos injurieux tenus à l’encontre d’une entreprise ou d’un employeur sur Facebook par le salarié, sans que ce dernier n’ait bloqué, l’accès à son « mur », basculeraient selon, la Cour d’Appel de Besançon, dans le domaine public car ils sont à la vue et à la lecture de tous. Le « mur de la vie privée » serait alors transgressé.
Mais comment savoir précisément dans quelle sphère on se situe ; privée, professionnelle ou publique ? Où est la limite alors de la liberté d’expression ? Les cas Internet s’empilent. Le Législateur serait-il dépassé par les possibles infinis de la toile ? Rien n’est moins sûr en raison de l’ambiguïté du problème et du manque d’opacité juridique.

Cindy Agostinho

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